la guerre Des Deux France

- Abbé de Tanoüarn :
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L'abbé Guillaume de Tanoüarn est directeur de la publication de la revue Certitudes. Dans son n° 24, il évoque, dans un dossier consacré au « Malaise français », la guerre des deux France, déjà mentionnée par le cardinal Perrot, archevêque d'Autun, en 1896 et ravivée, cent ans plus tard, à l'occasion du XV° centenaire du baptême de Clovis. Bilan d'un conflit qui oppose la France qui commence en 1789 et celle qui remonte au baptême de Clovis.
La célébration du quinzième centenaire a mis en lumière la persistance de ce conflit franco-français où notre pays s'épuise. Alors que depuis un siècle, l'Eglise adoucit son discours jusqu'à le rendre insignifiant, les anticléricaux, eux, n'ont pas désarmé. C'est une véritable haine dont ils ont donné le spectacle à l'étonnement du plus grand nombre, il faut le dire. et cela au nom de la tolérance et de la neutralité.
Comment expliquer ce paradoxe apparent ? La laïcité n'est-elle en France que le cache-sexe de l'athéisme militant ?
Faut-il incriminer la mauvaise foi de militants attardés en plein XIX° siècle ? Il n'est pas facile de saisir les motivations du collectif « Clovis n'est pas la France » qui au nom du Réseau Voltaire a mené la lutte contre la venue du pape. Si l'on consulte le n° 409 de la revue « Politis », sensée exprimer cette sensibilité, on reste un peu perplexe ; manifestement il manque une ligne directrice à ces braves gens qui exhalent leur nostalgie, leur mauvaise humeur, leur position politique «à gauche de la gauche » et leur détestation de Le Pen, même s'ils reconnaissent que « le pape. c'est plutôt de Villiers ».
Ces réactionnaires anticalotins fusent un peu dans tous les contresens, à coup de formules à l'emporte-pièce « Le mythe de Clovis. c'est celui d'une France blanche et chrétienne » déclare par exemple Christian Terras, cité dans Politis. Quant à Denis Sieffert. il note simplement « L'infraction aux règles de la laïcité commence quand l'état identifie la naissance de la France à un baptême et invite le pape à nous donner des leçons de morale pour célébrer l'événement ».
Apparemment il n'a pas réalisé l'étrange confusion entre le fait Clovis et le droit (républicain) qui exclut que la France puisse naître le jour de son baptême. Curieusement dans ce cas, le révisionnisme historique est obligatoire : que le fait soit avéré ou controuvé n'a aucune importance. L'infraction existe dès lors qu'on s'écarte du droit républicain qui ne tolérera pas qu'il soit dit que le baptême de Clovis est l'acte de naissance de la France.
Indigent ou dangereux, le discours laïque d'aujourd'hui paraît de toute façon profondément nul. plus pulsionnel que rationnel, incapableen tout cas d'assurer la fonction historique qu'il s'est assignée : être le creuset d'une francité plurielle, le lien qui rassemble des individus sans autre norme commune que celle qu'il leur impose (...).
Finalement le silence relatif de Jean-Paul II sur la nécessité d'une politique chrétienne en France, son retrait par rapport à ses déclarations de 1980 sur le baptême de la France peuvent sans doute être imputés à ces groupuscules. parmi lesquels, en bonne place le Grand Orient. Il serait donc trop simple de s'en débarrasser sous prétexte qu'ils ne représentent plus grand monde ou qu'ils symboliseraient un de ces archaïsmes de la société française qui sont voués à disparaître.
René Rémond, historien de l'anticléricalisme, a expliqué dans « La Vie » du 20 septembre 1996 pourquoi on n'en finira pas de sitôt avec le tropisme anticlérical de la société française « Il existe un noyau laïciste dur qui n'admet pas qu'il puisse y avoir une expression publique du phénomène religieux dans la vie sociale. Ce courant de pensée considérera toujours que toute manifestation extérieure du fait religieux relève du cléricalisme et doit être combattu. Or le fait religieux ne peut pas ne pas comporter une certaine dimension sociale. il y a là un noeud de contradiction propre à faire resurgir périodiquement des manifestations d'anticléricalisme ».
La contradiction est donc à l'intérieur même de l'idéologie laïque qui tout en se prétendant respectueuse de la foi (et pas athée) n'admet pas que cette foi puisse s'exprimer en dehors du for de la conscience individuelle (...). La visite du pape a mis crûment au jour les contradictions de la laïcité sur laquelle pourtant se fonde le vécu social de la nation depuis un siècle. Le contraste est saisissant entre l'importance des « valeurs laïques » au coeur du pays et l'imprécision meurtrière de ce concept. Importance du concept ? Paul Thlbaud, rédacteur en chef de la revue « Esprit » ne s'embarrasse pas de périphrase à ce sujet « Ailleurs pour nommer le corpus des valeurs civiques. on parle de « religion civile » ou de pluralisme ; en France, on dit laïcité (in L'Hlistoire, sep. 1996).
Imprécision ? Aujourd'hui la laïcité définit toute une palette d'attitudes qui vont de l'impartialité à la haine Il est inconcevable que l'ambiguïté de ce concept demeure après un siècle de guerre civile idéologique.
Vider l'abcès par une clarification du langage. voilà l'urgence. Disqualifier l'intégrisme laïc. porteur de haine sociale, repenser les rapports entre l'Eglise et l'Etat sur un fondement sain. celui de la philosophie politique et de l'histoire de l'identité française, voilà la tâche à laquelle il faut s'atteler si l'on veut un peu dissiper le malaise. Pour cela, il est bon de garder en mémoire les fortes paroles du cardinal Eyt mettant en cause « les contradictions » de la « réalité française », par exemple, « cette idée que se font beaucoup de Français que. puisque l'État est laïque, il est possible de diffuser une culture neutre. Or il n'y a pas de société et de culture religieusement neutres. La preuve. c'est que nous constatons en ce moment chez nous une agressivité antireligieuse et. à l'inverse, une grande recherche religieuse » (Pèlerin magazine. 20 septembre 19961 (...).
Abbé Guillaume de Tanoüarn.
Certitudes. 23 bis rue des Bernardins, 75005 Paris. Tél. 01 53 69 00 10.
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