Le Philosophe et le XV° centenaire

 

Que représente le XVe centenaire pour un philosophe ? Mais y-a-t-il encore des philosophes en 1996 ? Notre présent ressemble aux temps dévastés du Vème siècle: que dire aujourd'hui des misères qui envahissent l'Occident, notre Patrie, l'institution ecclésiastique ? Nous avons un témoin de ces temps de malheurs, qui porta l'éclair de sa vue pénétrante sur les catastrophes de son époque: saint Augustin. Prenons-le comme guide. Il répond aux plaintes scandalisées des païens (les chrétiens ont chassé nos dieux: ceux-ci se vengent) et des chrétiens (Rome est la ville sainte où reposent les corps des apôtres). Il écarte le simplisme manichéen, montre que les " deux cités " sont ici-bas enchevêtrées, comme le bon grain et l'ivraie. Une cité historique n'est pas mauvaise en soi: elle se damne dans la mesure où elle refuse Dieu; même, des ennemis se cachent dans le corps de l'Eglise: " ils participent aux sacrements, mais ne participeront pas à la destinée éternelle des saints " (Cité, I, 35). Dans une cité historique, paix et justice peuvent parfois se rencontrer: " Ici donc, la justice en chacun c'est que Dieu commande à l'homme obéissant, l'âme au corps, la raison aux vices rebelles, soit qu'elle les réduise, soit qu'elle leur résiste; c'est que l'on demande à Dieu même la grâce des bonnes oeuvres, le pardon des fautes et qu'on s'acquitte envers Lui de ce tribut de reconnaissance dû à ses bienfaits (Id. XIX, 27). Alors régnera la paix, " tranquillité de l'ordre qui dispose les choses selon leurs similitudes et leurs différences, en assignant à chacune sa juste place "(XIX, 12-13) : paix du corps. de l'âme, harmonie de la cité; cette société résulte de l'union ordonnée de l'autorité et de l'obéissance; la condition fondamentale, c'est l'Ordre, qui est d'abord "ordre moral " Théologien et philosophe, saint Augustin a ainsi exposé l'enseignement divin. A la fin du Ve siècle, le pape Gélase 1er, dans sa lettre à l'empereur d'Orient Anastase 1er, proclame: " O auguste empereur, elles sont deux, assurément, par lesquelles ce monde est principalement dirigé: L'autorité sacrée des pontifes, et la puissance royale " ; autorité sacrée parce qu'elle émane directement du Christ, et exprime ses commandements; puissance royale parce que c'est au pouvoir humain de légiférer en vue de bien vivre socialement. Cette formule définit parfaitement la distinction et l'union des deux ordres, avec la nécessaire subordination de l'humain au divin; rappelons que l'empire païen, comme nos tyrannies modernes, les mélangent et confondent, dans le personnage du maître divinisé, empereur, tyran, " président "... Le baptême, vrai pacte entre le roi et l'Eglise, fait de ce dernier le juste souverain politique, détenteur légitime de la regalis potestas, que le pape Gélase vient de définir. Ses successeurs recevront cette même grâce avec le sacre, cérémonie liturgique explicite, dans la continuité du pacte de 496. Le sacre sanctionne l'origine divine de l'autorité du souverain dans la sphère politique, et il lui donne la certitude d'avoir les secours divins nécessaires au Juste exercice de ses fonctions. Comme pour le baptême pacte fondateur, l'évêque est le ministre de cette consécration. Il agit au nom de l'Eglise let donc du Christ), continuant ce qu'a fait saint Rémi. Ainsi, s'affirme la subordination du politique au religieux . Le bien commun temporel doit être finalisé par le bien commun éternel (surnaturel). Tant que ce rapport ne sera pas assuré, nos systèmes politiques seront désordonnés, corrompus par la démesure, derrière laquelle se cache l'opposition à Dieu, et donc au vrai Bien, d'où résulte le malheur de l'état et des sujets. Le pacte de 496, puis le sacre royal, rendent explicitement hommage à la Royauté du Christ; cela ne consiste pas seulement à reconnaître que l'autorité du roi vient de Dieu: la regalis potestas est rangée " sous la loi nouvelle de Jésus ", ce qui a pour effet de la " coordonner au gouvernement de Jésus-Christ et de l'imprégner de son esprit " (Clérissac). Dans l'adhésion de foi, manifeste au baptême, de Clovis avec ses guerriers, s'exprime aussi la nature politique de l'être humain: le peuple est lié à son roi. Le pacte politique est reçu par le saint évêque; ainsi est promise l'assistance divine au roi et à son peuple, puisque la Royauté suprême du Christ est reconnue. C'est enfin pourquoi la fête du Christ-Roi est si nécessaire aujourd'hui. Elle maintient le devoir qu'a la société politique de se soumettre à Notre Seigneur, ce qui implique que les lois civiles doivent respecter cette divine royauté. Cette vérité ne se discute pas: elle est fondée en raison et elle est aussi de foi. La philosophie se joint à la théologie; c'est l'enseignement majeur que le philosophe doit recueillir en célébrant le pacte fondateur de 496.

Louis Millet Professeur émérite à l'Université des sciences sociales de Grenoble

[Source : Le Journal du XVème Centenaire N° 13 10 mars 1996]

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