Il y avait, près de Béthléem, des bergers qui vivaient aux champs et qui, la nuit, veillaient tour à tour à la garde de leur troupeau. Or, cette nuit là, ils furent éveillés par une grande lumière qui venait du ciel. Un ange leur apparut et leur annonça la gronde nouvelle :
- Un Sauveur vous est né qui est le Christ Seigneur. Et ceci vous servira de signe : vous trouverez un nouveau né enveloppé de langes et couché dans une crèche.
Et le choeur des anges se mit à chanter dans la splendeur de la nuit étoilée
- Gloire à Dieu au plus haut des Cieux et paix sur la Terre aux hommes de bonne volonté.
Après avoir discuté entre eux, les bergers décidèrent de se rendre à Béthléem pour trouver cet enfant.
Mais qui gardera le troupeau pendant notre absence ? demanda l'un d'eux.
Il suffit de réveiller Etienne, répondit le patron, c'est le seul d'entre nous à n'avoir rien vu ni entendu de ce qui vient de se passer. Comme d'habitude il dort à poings fermés.
Etienne, un jeune garçon d'une dizaine d'années avait été abandonné à sa naissance et recueilli par un couple de paysans. Il n'était pas malheureux parmi les bergers mais il souffrait cependant de ne pas être tout à fait comme les autres. Sa jambe droite, plus courte que la gauche l'empêchait de marcher normalement et surtout de courir. Ses compagnons l'appelaient "le boiteux" mais ils ne tenaient guère compte de son infirmité en ce qui concernait le travail; c'était sur lui que tombaient à la fois les corvées et les coups de bâton. On le surnommait aussi "le dormeur", car, aux heures de repos il s'endormait dès qu'il était assis et il fallait le secouer énergiquement pour le réveiller.
Cette nuit là il fut donc tiré de son premier sommeil par le patron qui lui expliqua la situation
Nous devons nous rendre d'urgence à Béthléem et, pendant notre absence c'est toi qui auras la responsabilité du troupeau. Fais attention à ce que les moutons ne bougent pas d'ici, s'il en manque un seul à notre retour je t'attache à un arbre et je te laisse en pâture aux loups Alors, sois vigilant et ne t'endors pas... gare aux loups
Les hommes partirent vers Béthléem en riant très fort comme si la menace de ce cruel châtiment les amusait.
- Moi, je ne trouve pas ça drôle, dit Etienne, et d'abord çà n'est pas juste, eux vont se distraire en ville et moi je reste ici garder les bêtes.
Il se mit à marcher de long en large en bougonnant.
- Et il ne faut surtout pas laisser le feu s'éteindre .. jamais je ne parviendrai à rester éveillé toute la nuit.
Il leva les yeux vers le ciel très clair dans lequel scintillaient les étoiles et remarqua sons se poser de questions que l'une d'elles brillait plus que les autres en direction de Béthléem, mais il avait bien d'autres préoccupations dans la tète. Il lui fallait lutter contre le sommeil pour ne pas servir de nourriture aux loups.
--Je ne crois quand même pas qu'ils parlaient sérieusement, pensait-il, ils ont dit çà pour m'effrayer et m'empêcher de dormir.
A ce moment là il entendit dos bruits qui le glacèrent d'effroi : des aboiements, des hululenents, des hurlements sinistres.
Il n'y avait pas de doute : c'étaient les loups.
Cela n'était pas la première fois que des bêtes sauvages s'approchaient du troupeau, mais ce soir là il était là tout seul avec près de lui un petit feu qui certainement ne suffirait pas à repousser des loups affamés.
Il saisit une grosse branche enflammée et, vaillamment, S'avança dans la direction d'où provenaient les hurlements.
C'est curieux, se dit-il, je ne tremble pas et j'ai bien moins peur que lorsque je rencontre un Serpent.
Enfin il les aperçut, ils étaient quatre qui s'avançaient vers lui et leurs yeux phosphorescents brillaient à la lueur de la torche improvisée.
- Ouaaah Ouaaah...! cria-t-il en faisant tournoyer le bâton ardent au dessus de sa tête.
Alors la petite flamme se mit brusquement à illuminer le paysage comme si tous les arbres s'étaient embrasés. A sa grande stupéfaction il vit les loups s'arrêter. Une lumière douce et bleutée descendit du ciel et Etienne entendit le choeur des anges. Puis, une voix très douce s'adressa à lui :
- Etienne, rappelle toi ce que tu as souvent entendu à la lecture des livres saints :
Le loup habite avec l'agneau,
La panthère se couche près du chevreau,
Veau et lionceau vivent ensemble,
Sous la conduite d'un jeune garçon.
La voix se tût, mais l'étrange lumière continuait à donner à l'endroit un aspect surnaturel.
Etienne posa la branche et vit les loups se coucher à terre. Il s'en approcha hardiment, se baissa et les caressa les uns après les autres, puis il s'assit près du plus gros, lui passa les bras autour du cou et effleura de son nez ses oreilles pointues. Le grand loup lui lécha longuement le visage, tout était calme, les étoiles brillaient, la lumière céleste s'estompa. Etienne s'endormit.
Quand il s'éveilla, le soleil était déjà haut dans le ciel, il se leva d'un bond.
- Les moutons... cria-t-il en redoutant le pire.
Les bêtes étaient là, paisibles... elles n'avaient pas bougé. Il s'assit sur une grosse pierre, se frotta les yeux et se remémora l'épisode des loups.
- J'ai dû faire un énorme cauchemar, murmura-t-il en baillant.
Et pourtant, il apercevait, là bas, la grosse branche calcinée, celle que, dans son rêve, pensait-il, il avait brandi pour essayer de chasser les loups.
Enfin, tout va bien, se dit-il, satisfait de lui.
Il s'allongea, se mit à compter les branches de l'arbre le plus proche, et, tout naturellement, il s'endormit.
Ce ne furent pas des coups de pied qui l'éveillèrent, comme cela se passait habituellement, mais simplement la main de son patron lui serrant l'épaule.
Je me suis encore endormi et ils vont me battre, pensa-t-il en ouvrant les yeux.
A sa grande surprise l'homme le regardait en souriant.
- Nous avons été très longs à revenir et la nuit a été dure pour toi, je comprends que tu aies eu besoin de sommeil. Tu sais, à Béthléem, nous avons vu l'enfant.
- Quel enfant?
- C'est vrai, dit l'un des bergers, il dormait quand nous avons eu la visite de l'Ange.
Tout en prenant le repas du matin ses compagnons lui racontèrent les événements de la nuit. Etienne ne saisissait pas très bien mais il comprenait encore moins pourquoi, pour la première fois il était admis à manger à côté d'eux et non pas seul dans un coin à l'écart, comme d'habitude.
Décidément, se dit-il, depuis hier soir il se passe des choses incroyables
Cependant il jugea utile de garder pour lui ses aventures nocturnes.
Après le repas ils se mirent en route vers une autre pâture. Faisant lentement avancer le troupeau, ils marchèrent une bonne partie de la journée et pendant le voyage Etienne ne cessait de bougonner :
- Cela n'est pas juste... Eux, ils ont vu l'enfant de la crèche et pas moi.
Quand ils furent arrivés à destination il prit son courage à deux mains, alla se planter devant le patron et lui dit d'une voix assurée :
- Moi aussi je veux aller voir l'enfant !
L'homme, étonné de cette détermination inhabituelle, le regarda fixement.
- Je vais prendre une correction, se dit le gamin, déjà moins sûr de lui.
L'autre lui posa ses grosses mains sur les épaules et lui sourit
- Tu sais, petit, j'ai regretté que tu ne sois pas avec nous là bas, mais, nous voilà bien éloignés de la ville et le voyage sera long pour toi.
- Cela ne fait rien, je trouverai bien mon chemin et je vous promets que je ne resterai pas absent très longtemps, je reviendrai dés que je l'aurai vu.
Le patron, lui tapota la joue en lui disant :
- Allez, va ! et sois prudent !
Son infirmité empêchait Etienne de courir, mais il marchait aussi vite qu'il le pouvait, essayant de surmonter Sa fatigue.
La nuit tomba, dans le ciel de gros nuages s'amoncelaient, le vent se mit à souffler et ce fut la tempête. Complètement épuisé le garçon s'arrêta, il s'allongea sous un arbre... et s'endormit.
Réveillé par la lumière du jour il ouvrit les yeux et les écarquilla en voyant arriver vers lui une petite caravane composée de trois grands chameaux montés par des personnages à l'allure étrange.
Le premier était noir, coiffé d'un turban blanc, le second était jaune, ses cheveux très bruns se terminaient par une natte qui lui tombait dans le dos. Le troisième, un blanc portait une longue barbe et il était coiffé d'un drôle de chapeau pointu. Derrière les chameaux suivait un mulet chargé d'énormes sacs. A la vue d'Etienne la caravane s'arrêta.
- Que fais-tu là, mon enfant ? demanda le barbu.
- Je me rends à Béthléem et j'ai bien peur de m'être perdu.
- C'est aussi notre destination... Mois tu as l'air très fatigué, veux-tu venir avec nous ?
- Cela me rendrait bien service, vous êtes très aimables.
Ce fut l'homme jaune qui le prit en croupe sur sa monture et pendant le trajet il lui expliqua comment, guidés par l'étoile ils venaient de très loin pour voir, eux aussi l'enfant. Il lui raconta aussi leur entrevue avec le roi Hérode et la demande de celui-ci de les voir a leur retour de Béthléem.
- C'est quand même très curieux se dit Etienne, tout le monde veut voir cet enfant...
Et, bercé par le mouvement chaloupé du chameau, il s'endormit la tête sur l'épaule de son compagnon.
Alors il fit un rêve... Le roi Hérode, dans son palais parlait avec d'autres hommes qui avaient l'air très méchants.
Quand ces trois illuminés nous auront dit exactement où se trouve l'enfant, nous irons et nous le supprimerons.
- Oui, il faut le tuer.
- Il n'y a qu'un roi des Juifs et c'est toi, Hérode.
- Cet enfant est dangereux.
- Il faut le tuer... le tuer... le tuer...
Le petit berger se réveilla en sursaut alors qu'ils entraient dans la ville et il était très troublé par le songe qu'il venait de faire... "encore un de mes cauchemars" se dit-il...
Quand ils arrivèrent enfin à la crèche, Etienne vit Marie et l'enfant, si petit, si beau, réchauffé par le souffle du boeuf et de l'âne. Il vit encore les mages se prosterner devant lui, ces trois grands rois agenouillés devant ce tout petit bébé qui semblait si fragile... Lui même se prosterna comme ses compagnons et, le nez dans la paille il se disait :
- Quel dommage que je n'aie rien à lui offrir, je suis le seul à être venu ici les mains vides.
Quelques heures plus tard il se retrouva avec les mages qui avaient dressé leurs tentes à la sortie de Béthléem. Là, il leur raconta tout : la visite des anges aux bergers, son aventure avec les loups et surtout le songe qu'il venait de faire au sujet du roi Hérode.
- Ce songe est révélateur de la volonté de Dieu, déclara le premier.
- Oui, ajouta le second, nous aussi nous avions décelé chez ce roi un fond de méchanceté et d'hypocrisie.
- Cet homme représente le mal, conclut le troisième, et nous rentrerons dans notre pays en faisant un détour.
- Nous suivras-tu, petit ?
- Non, cela n'est pas possible, j'ai promis de rentrer vite, mais je crois que je resterai demain à Béthléem... Pour revoir l'enfant.
Le lendemain matin, Etienne fit ses adieux à ses trois nouveaux amis et il rentra dans la ville.
A vrai dire il ne cessait d'être tourmenté par le fait qu'il n'avait rien pu offrir à l'enfant de la crèche. Tout en se promenant dans les rues étroites il arriva devant une petite échoppe où étaient pendus des dizaines de colliers faits de coquillages multicolores. Il s'arrêta pour les contempler, une femme se trouvait sous l'auvent, elle lui sourit et lui demanda :
- Dis-moi, jeune berger, serais-tu capable de rendre service à une pauvre vieille femme qui n'a plus de famille.
- Que faut-il faire pour vous venir en aide ?
- Eh bien, il y a plusieurs jours que je manque de bois pour me chauffer.
- Ne vous tracassez pas, je vais aller en chercher et vous en faire une provision pour plusieurs jours.
Tout l'après-midi il fit des aller-retours entre le bois et la boutique. En fin de journée, il lui demanda :
- Est-ce suffisant comme cela ?
- Bien sûr... Tu es vraiment très serviable, je te remercie beaucoup.
- Bon; alors au revoir, il faut que je retourne près de mes moutons.
- Attends un peu, mon enfant... Dis moi, pourquoi as-tu fais tant de travail sans me demander de gages ?
- Pour vous rendre service... Pour que vous n'ayez plus froid.
- Et pourtant tu aimerais faire un cadeau à quelqu'un et cela est très important pour toi... Je le sais!
- Mais comment avez-vous pu deviner ?
- Les vieux savent souvent lire dans les pensées des enfants, mon petit... Tiens, tu vois, je passe mon temps à fabriquer des colliers, c'est mon gagne pain.
- Je les trouve très jolis
- Alors, prends celui-ci, il est à toi, je te le donne, non pas comme salaire mais par amitié pour toi.
Etienne, rayonnant de joie, accepta le collier, embrassa la vieille femme et prit le chemin de la crèche. Quand il y arriva, il faisait nuit; Marie, Joseph et l'enfant dormaient. Il s'avança doucement, sans faire aucun bruit et enroula le collier autour du bras droit du petit Jésus.
Puis, après un regard émerveillé, il se retira sur la pointe des pieds.
Lorsqu'il fut dehors il contempla le ciel et vit l'étoile qui semblait briller encore plus. Etienne était heureux comme il ne l'avait jamais été, il avait envie de crier, de chanter, de danser...
- Maintenant il faut reprendre la route, murmura-t-il.
Il marcha un bon moment en sifflotant et se trouvait à quelques centaines de mètres de l'endroit où ses compagnons et lui campaient la veille au soir quand il aperçut les feux du bivouac et le troupeau.
- Ils sont revenus... Je suis arrivé ! cria-t-il, enthousiaste.
Et il s'élança, courant de toutes ses forces. En entendant ses cris le patron se leva et s'avança vers lui.
- C'est moi... Etienne... J'ai vu l'enfant... me voilà
- Tu vois Etienne, nous sommes revenus ici, pensant que tu aurais moins de chemin à parcourir pour nous rejoindre.
- J'ai vu l'enfant ! répétait le petit berger en sautant de joie.
- Et moi, je te vois courir, je te vois sauter... Tu ne boites plus, Etienne, tu ne boites plus
Etienne regarda ses jambes et se mit à gambader en hurlant:
- Je ne boite plus... Je peux courir... Je peux sauter!
Les autres bergers étaient accourus et le regardaient enlevant les bras au ciel. Alors, le plus âgé les arrêta d'un geste et déclara solennel
- Voici les paroles du Prophète Isaïe :
Alors le boiteux bondira comme une gazelle,
Et la langue des muets se délira.
Allégresse et joie les accompagneront,
Douleur et plaintes auront pris fin.
Rendez grâce au Seigneur car il est bon.
- Car éternel est son amour, répondirent les bergers en choeur tandis qu'Etienne bondissait par dessus les moutons affolés en hurlant:
- Alléluia ! J'ai vu l'enfant, il m'a guéri, je peux courir, je peux sauter, Alléluia
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