Dans le milieu juif de Palestine sous l'occupation romaine du premier siècle de notre ère, on constate un grand foisonnement de mouvements religieux. Pris dans l'ensemble de ces mouvements, Jésus apparaît comme un simple Rabbi issu de Galilée. Située au Nord de la Palestine, cette région est vraiment le "carrefour des nations", un lieu de passage de toutes les armées des grands états voisins, depuis des siècles. Certains y ont fait souche si bien que l'on y rencontre des gens issus de toutes les régions du proche orient, et qui appartiennent à toutes les religions de ces pays.
C'est dans ce milieu que Jésus naît, grandit et se forme.
Quand on scrute la vie de ce rabbi telle qu'elle nous est rapportée par les évangiles, seule source qu'on en connaisse, on constate que son message est d'une grande simplicité : il annonce une parole de libération et, comme il est Juif et profondément ancré dans ce peuple et dans sa foi, il s'adresse d'abord à ses coreligionnaires : pour un juif pieux de cette époque, avoir contact avec un non juif, c'était risquer de contracter une impureté légale dont il lui faudrait se purifier avant de pouvoir procéder aux actes du culte, aussi on l'évitait.
Par sa parole comme par ses actes, il libère de l'exclusion; c'est d'ailleurs le premier de ses actes dans l'évangile de saint Marc : il "libère" un possédé, comme ensuite il "libérera" des hommes et des femmes en guérissant leur maladie, comme il les "libérera" des impuretés rituelles "en déclarant pur ce qui est impur" (Mc7,13). Il réintègre dans la participation au culte et donc à la vie sociale ceux qui étaient exclus.
C'est également le message qu'il donne en guérissant des lépreux que la lèpre excluait de toute participation à la vie de la communauté, vie religieuse et vie sociale, les deux étant intimement liées. Guéris, il peuvent à nouveau participer à la vie du peuple, rentrer dans la communion avec leurs frères. Les guérisons ne sont elles mêmes que des ouvertures qui veulent conduire l'homme plus loin : Dieu t'aime, il te guérit, et te libère d'une maladie encore plus tenace, celle du péché ainsi qu'il le dit au paralytique : "tes péchés sont pardonnés", c'est à dire purifiés; toi aussi Dieu t'aime, et désormais tu n'es plus exclu, mais tu pourras à nouveau jouer ton rôle dans la vie de ton peuple.
Jésus va donc plus loin qu'une simple guérison physique : il libère aussi le pécheur non pas en appelant "bien" ce qui est un mal (à la femme adultère, il dit :"ne pèche plus") mais en le délivrant de la condamnation causée par son péché; celle qui s'était exclue de la communauté par son péché est invitée à rentrer dans cette communion que son péché avait brisée; elle est réintégrée dans la société dont ses accusateurs voulaient la faire sortir.
Toujours dans le même sens, il a des contacts avec les pécheurs et les publicains, mis à l'écart car constamment menacés de contracter des impuretés légales, du fait de leurs relations fréquentes et inévitables avec des non-juifs. Jésus brise cette exclusion : "aujourd'hui le salut est entré dans cette maison, dit-il en entrant chez le publicain Zachée, car lui aussi est un fils d'Abraham." (Lc 19) En partageant son repas de fête avec les pécheurs, les publicains et tous les exclus, il manifeste que eux aussi sont aimés de Dieu, invités à partager la joie des noces avec les boiteux, les malades et tous les mal-aimés.
Cela scandalise les scribes et les pharisiens car un tel comportement et un tel enseignement ont quelque chose de profondément subversif et révolutionnaire : pour eux, cela sape les fondements de la religion. En se comportant comme il le fait il heurte de front tout ce que le judaïsme de son temps a de fervent.
Si bien que, peu à peu, alors qu'il annonce cette "bonne nouvelle", il constate que son message n'est pas accepté par nombre de ses frères juifs : ils refusent une parole qui semble aller à l'encontre de leur tradition, tandis qu'au contraire des païens, des non-juifs l'accueillent. Le fait que Jésus soit galiléen n'est pas neutre : s'il avait habité Jérusalem, il aurait eu beaucoup moins d'occasion de fréquenter toute cette part de la population dont le contact quotidien a certainement joué un rôle important dans sa maturation.
Et pourtant ce n'est pas spontanément qu'il va répondre à leur appel : la femme venue de la région de Tyr en fait l'expérience lorsque Jésus lui reproche d'être comme les petits chiens qui viennent prendre la nourriture destinée aux enfants (Mc 7,24). A plusieurs reprises cependant il est dans l'admiration devant la foi de ces personnes qui n'ont pourtant pas connu la révélation faite à Israël ! Que l'on songe simplement à son dialogue avec cette femme, celle de Samarie (Jn 3) et avec l'officier romain (Lc7,1-10).
Il est remarquable que jamais il ne leur a conseillé de changer de religion et d'adhérer à la religion juive pour devenir des "craignant-Dieu". Simplement il leur annonce que pour eux aussi Dieu se fait présent à travers ce signe qu'il réalise, et il les invite à en rendre grâce.
Saint Paul poursuivra cette réflexion dans le même sens, en allant jusque dans ses conséquences les plus extrêmes : faisant la même constatation que Jésus, à savoir que les non juifs accueillent mieux son message que ses frères juifs, il en conclura que le salut est apporté à tous, sans distinction d'origine ni de religion, et qu'une même libération est apportée aux uns comme aux autres, indépendamment de leurs uvres et de leurs origines. Finalement pour lui peu importe d'être ou de ne pas être juif, l'important est d'accueillir la parole de libération apportée par Jésus.
Mais cette parole, de quoi libère-t-elle l'homme ?
Pour le juif du temps de Jésus, elle le libère de tout cet ensemble de législation qui l'enferme et l'emprisonne : "vous transgressez le commandement de Dieu au nom de votre tradition" déclare-t-il aux scribes, et ce faisant, vous annulez la parole de Dieu.
Le non juif, lui, est libéré de tout l'emprisonnement des religions païennes, religions de crainte et non d'espérance et d'amour : on a peine à imaginer aujourd'hui combien la vie des ces hommes était ligotée par des pratiques religieuses auxquelles on devait scrupuleusement obéir sous peine d'encourir la fureur des dieux et des hommes car religion et vie politique étaient alors extrêmement imbriquées l'une dans l'autre. (On retrouverait sans doute quelque chose d'équivalent dans certaines religions traditionnelles aujourd'hui encore, dans des pratiques fétichistes ou le recours à la magie qui est encore si fréquent en cette fin de siècle.)
Paul ne dit ni aux uns ni autres d'abandonner leurs pratiques religieuses; il se contente de répéter que tout cela est devenu second : il est préférable de les respecter plutôt que de scandaliser ses frères, mais il ne faut obliger personne à suivre des rites et des traditions qui sont devenus caducs.
De tout cela Jésus vous libère; "l'Esprit Saint vous rendra libres" dit saint Jean.
Et tel est le message que s'efforce de transmettre l'Église depuis 20 siècles, puisqu'elle n'a pas d'autre raison d'être que de mettre les hommes en relation avec Dieu, de leur proposer un chemin pour se mettre sous la dépendance de l'Esprit.
Ce message de libération, c'est l'enseignement des saints : "ni la mort ni la vie, ni anges ni principautés, ni présent ni avenir, ni puissance, ni aucune autre créature, rien ne saurait nous séparer de l'amour de Dieu" dit saint Paul, et tout concoure au bien de ceux qui cherchent Dieu, "même le péché" dira saint Augustin. Quand à notre compatriote, Thérèse de Lisieux, elle achèvera ses écrits sur cette parole : "quand bien même j'aurais sur la conscience tous les péchés qui se peuvent commettre, j'irais, le cur brisé de repentir, me jeter dans les bras de Jésus, car je sais combien il chérit l'enfant prodigue qui revient à lui."
Et Jean Paul II, nous le savons, a commencé son ministère d'Évêque de Rome par ces simples mots : "n'ayez pas peur !"
La difficulté pour l'homme de ce temps, c'est qu'il ne voit plus très bien de quoi il est prisonnier, de quoi il a besoin d'être libéré, sauvé. L'homme d'aujourd'hui est-il donc aussi libre qu'il le croît ? n'y a t il plus rien qui l'emprisonne et dont il ait à s'affranchir pour être vraiment à la hauteur de sa vocation lui qui est appelé à la liberté" et non pas à l'esclavage, selon Ga 5,13 ? voici une autre question, à laquelle j'aimerais bien que l'on m'aide à réfléchir.
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mardi 14 octobre 2003