Article très théologique, mais dont la lecture vaut l'effort... (Source: S.O.P.)
Jamais sans doute la question de la personne n'aura été Si actuelle qu'aujourd'hui, après les développements qu'ont connus la psychanalyse et la psychologie, le personnalisme philosophique ou la quête du sens dans les oeuvres littéraires de ce siècle, mais aussi à travers les horreurs innommables des guerres et des systèmes concentrationnaires. Comment la Révélation chrétienne rend-elle compte de la vérité de la personne humaine, quel est son fondement et, face à la mort, quel peut être son accomplissement?
Dans un mémoire de maîtrise qu'il a présenté à l'Institut de théologie orthodoxe de Paris (Institut Saint-Serge), Michel STAVROU, 36 ans, ingénieur diplômé de l'Ecole centrale de Lyon, tente une première approche de cette question à travers l'oeuvre de deux théologiens orthodoxes contemporains, Vladimir Lossky (1903-1958) (SOP 25.8) et le métropolite JEAN (Zizioulas), évêque titulaire de Pergame, professeur à l'université de Thessalonique et au King's College de Londres (SOP 148.19). Observant une "distinction irréductible" entre les sensibilités théologiques de ces deux auteurs, il souligne une convergence fondamentale dans l'élaboration d'une vision orthodoxe de la personne, reposant sur un fondement trinitaire.
Le Service orthodoxe de presse publie ici quelques extraits de la présentation qu'a faite Michel STAVROU de son travail lors de la soutenance publique qui s'est déroulée le 6 juin dernier à l'institut Saint-Serge. Le texte intégral de cette présentation ainsi que de l'intervention du père Boris BOBRINSKOY, doyen de l'Institut Saint-Serge et premier rapporteur de ce mémoire, seront prochainement disponibles dans la collection des Suppléments au SOP (référence 21 0.A; 25 F franco).
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Nous pressentons tous de façon plus ou moins aiguë la prégnance et l'importance du thème de la personne dans nos vies. Il touche au coeur même de notre existence, à notre relation secrète avec Dieu, à la part la plus intime de notre identité. Derrière la personne c'est la question de la vie éternelle et du salut qui se profile. Ce thème est capital dans presque tous les domaines de la théologie dogmatique [...]. Cependant, comment s'articule précisément la réalité personnelle entre l'homme et son Créateur ? Qu'est-ce qui fait que l'homme est personne de même que Dieu est personne et comment interpréter le rapport entre la personnéité de Dieu et celle de l'homme ? Enfin, comment devenir soi-même une personne ? Telles sont les questions qui m'ont amené à réfléchir sur ce thème et à l'approfondir sur la base de deux contributions théologiques importantes, celles de Vladimir Lossky et de Jean Zizioulas.
Faire de la théologie de façon existentielle et vivante
[...] Ce qui m'a amené vers ces deux théologiens dans mon besoin d'approfondir la question de la personne ne se bornait pas au fait que ce thème était longuement abordé dans leurs écrits. L'élément déterminant fut pour moi non une affaire de contenu, mais plutôt de style, une manière de faire de la théologie de façon toujours existentielle et vivante, rompant ainsi avec ce que je n'ose appeler la tradition séculaire d'un académisme poussiéreux et désincarné - mauvaise copie orientale d'un scolasticisme occidental languissant (le père Georges Florovsky a écrit là-dessus un ouvrage qui fait date).
Plutôt que de me contenter de ce mot d'existentiel, dont nous faisons un usage parfois immodéré de nos jours, j'aimerais citer ici un ou deux extraits particulièrement significatifs de Vladimir Lossky et de Jean Zizioulas. Le premier écrit, en introduction à son cours de dogmatique : "La voie de la pensée chrétienne n'est pas seulement la Vérité, elle est aussi la vie, et qui dit la vie dit la lutte [...] Il ne suffit pas d'exposer une doctrine abstraite, il ne suffit pas de "connaître", il faut prendre parti, il faut avoir vécu ce qu'on apprend, il faut renouveler constamment cette connaissance, car la vie est exigeante, et ce n'est pas la doctrine morte des manuels de théologie qui pourra la contenter" (cité in Olivier Clément, Orient-Occident, deux Passeurs, Genève 1985, p. 18). [...] Je ressens ce passage comme une condamnation de toute suffisance du discours théologique, et une invitation au dépassement de la pensée conceptuelle. Il y a là en filigrane l'exigence apophatique présente, pour Vladimir Lossky, au coeur de toute théologie authentique.
Comme en écho à ce passage très fort de son aîné, Jean Zizioulas écrit trente ans plus tard que les dogmes, en profondeur, sont vie et que, je cite, "ils doivent avoir des influences immédiates et décisives sur notre existence", leur poids et leur autorité éternelle venant non pas de leur label extérieur de "dogmes" mais du fait qu"'ils ne font référence qu'à des vérités totalement existentielles, à des questions de vie et de mort" (cf. J. Zizioulas, "Christologie et existence", Synaxi, n02, Athènes, 1982, pp. 9 et Suiv).
Il y a donc chez ces deux auteurs l'affirmation du caractère fondamentalement et directement sotériologique de toute théologie chrétienne authentique. Car viser notre vie et notre existence, c'est d'abord pointer sa limitation tragique par la mort et la déchéance due au péché, c'est donc poser la question du salut. [...]
Déceler le moment personnel en l'homme
Vladimir Lossky et Jean Zizioulas empruntent tous deux, pour déceler le moment personnel en l'homme, la démarche d'un saint Grégoire de Nysse qui part des dogmes trinitaire et christologique pour découvrir dans la réalité humaine une correspondance ayant son modèle en Dieu : cette correspondance repose sur la Révélation selon laquelle l'homme est fait à l'image et à la ressemblance de Dieu.
Approchée à travers la Révélation et l'expérience ecclésiale, la diversité personnelle en Dieu est un fait initial qui ne découle d'aucun autre principe. Car rien ne peut-être antérieur à la Trinité. Le Dieu révélé par Jésus-Christ est Père, Fils et Saint-Esprit. Vladimir Lossky souligne que le prologue de Jean "Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu" (Jn 1,1) est le germe de la théologie trinitaire. C'est aussi le germe de l'approche théologique de la personne. Et lorsque Jésus, à la veille de sa Passion, évoque le Paraclet, l'Esprit Saint qu'enverra le Père en son nom (Jn 14,26) il pose comme différente de Lui la Figure de l'Esprit, l'Esprit de la Vérité qui procède du Père (Jn 15,26).
Ainsi est posé le mystère trinitaire, antinomie crucifiante pour la raison humaine, dans la coïncidence entre unité et diversité. C'est à l'occasion des tentatives de réduction rationaliste du Mystère trinitaire au cours des premiers siècles que l'Eglise sera amenée à en préciser et expliciter la signification éternelle, à travers les élaborations, notamment, de saint Athanase et des Pères cappadociens. Le terme d'homoousios [consubstantiel, de même essence. NDLR] appliqué au Christ par saint Athanase et adopté par le 1er Concile de Nicée (325) [voir le symbole de foi de Nicée-Constantinople "le Fils (...) consubstantiel au Père". NDLR] permet de sauvegarder la divinité du Christ [...]. [Il] signifie l'identité d'essence ou de nature entre le Père et le Fils, et s'entend aussi par extension de l'Esprit Saint. Le Fils et l'Esprit Saint sont ce qu'est le Père, pour paraphraser saint Grégoire le Théologien, mais ils ne sont pas le Père car il n'y a qu'un seul Père. De même, n'y a-t-il qu'un Fils et qu'un Esprit. [...]
Vladimir Lossky souligne que les Pères ont su utiliser la synonymie initiale des termes grecs hypostasis (personne) et ousia (l'essence) pour mettre en relief le caractère antinomique de l'énoncé du Mystère trinitaire. De son côté, le métropolite Jean insiste sur le caractère ontologique du mot hypostasis : Si ce terme est appliqué à la personne (divine puis humaine), c'est que les Pères ont décelé que, derrière le masque tragique et illusoire que nous portons dans la vie sociale (le mot personne, en grec et en latin désignait à l'origine le masque de théâtre), il y a bien en chacun de nous une dimension unique, irréductible, éternelle. Par son emploi pour désigner les personnes trinitaires, le terme acquiert une valeur relationnelle. Aucune personne divine n'est concevable coupée des deux autres. "Le Verbe était auprès (pros) de Dieu": c'est une distinction "vers" et non "contre" les autres, qui existe entre les personnes.
La vie trinitaire, paradigme de l'existence ecclésiale
La signification de la "monarchie" du Père est l'autre volet capital de la révolution conceptuelle accomplie par les Pères cappadociens. Vladimir Lossky y accorde une importance assez relative pour souligner surtout que chez les Pères grecs, le monothéisme procède de la monarchie du Père et non, comme chez les Pères latins de l'unité de l'essence : la seconde étant une conséquence de la première. Dans la Sainte Trinité le Père est donc source à la fois de l'unité et de la diversité. [...] L'existence trinitaire ne se déploie pas à partir d'une essence suprême, "tel un cratère qui déborde", comme le souligne saint Grégoire le Théologien [...]. Cette causalité personnelle du Père, défendue par les Cappadociens, est d'une importance capitale, comme le montre Jean Zizioulas. Elle signifie que l'être n'est pas pour Dieu un donné comme il l'est pour la création. La cause ontologique de l'être véritable n'est pas l'ousia - l'essence -, mais une personne, le Père.
Dire que "Dieu est amour" signifie non pas que la nature ou essence de Dieu est amour et que - en conséquence - Dieu est par nature une communion de personnes, mais cela signifie que le Père est amour et qu'il amène librement et éternellement à l'existence le Fils et l'Esprit Saint.
En d'autres termes la catégorie ontologique ultime est la personne et non la nature. [...] Chaque personne assume librement et en plénitude la totalité de la nature commune. Chacune des personnes trinitaires est caractérisée par son mode d'existence, comme le disent les Pères, terme qui indique que la manière dont la personne se tient dans son existence éternelle - Paternité, Filiation et Procession - désigne des relations ontologiques. La personne est fondamentalement en relation et n'existe qu'en relation, porteuse d'une essence commune. Et ici, Vladimir Lossky souligne avec saint Basile que chaque personne doit toujours être considérée en relation avec les deux autres. La distinction des personnes ne signifie nullement une opposition mais une communion plénière dans l'amour.
Telle est donc la révélation du mystère de l'existence personnelle en théologie trinitaire. Et la vie trinitaire, loin d'être une abstraction lointaine, se présente, pour les Pères grecs, comme le paradigme de l'existence ecclésiale.
L'homme a été créé à l'image et à la ressemblance de Dieu. Cette correspondance mystérieuse est interprétée diversement par les Pères, mais tous sont d'accord néanmoins sur la présence en l'homme d'une faculté de se déterminer librement. [...] Or, comme nous l'avons vu, les personnes divines se caractérisent par leur liberté à l'égard de leur propre nature. Il apparaît donc, pour Vladimir Lossky comme pour Jean Zizioulas, que la personnéité est vue par les Pères grecs comme la signification même de la création à l'image de Dieu.
C'est dans l'Eglise que le Christ nous donne de pouvoir devenir des personnes véritables
Tout le problème, cependant, est que cette personnéité est à la fois un don et une promesse. L'homme est une personne en germe en tant que créé à l'image de Dieu mais il ne devient réellement et pleinement personne qu'à travers l'accomplissement de la ressemblance avec Dieu. Le sens de la Chute est la perte pour l'homme de la possibilité de réaliser pleinement son existence personnelle. [...] Coupés de la source de vie divine, l'homme et à travers lui, toute la création, n'ont plus pour perspective que la désagrégation, la mort et le retour au néant. Ainsi, l'homme exprime-t-il une personnéité incapable de s'accomplir. C'est la condition tragique d'une liberté qui tend à son accomplissement mais qui ne peut jamais l'atteindre : l'homme comme personne voudrait transcender sa nature, exprimer sa créativité, mais il se heurte inexorablement aux limites du créé, matière, temps, espace. La seule issue pour le créé serait - pour demeurer dans l'être - de restaurer une relation ferme et durable avec l'incréé.
C'est précisément cette relation ontologique nous assurant de subsister dans l'être et d'accomplir notre personnéité que nous offre le salut en Christ. Dans sa kénose le Christ révèle, comme le note Vladimir Lossky, "le mode d'être de la personne divine envoyée dans le monde" (in Théologie mystique de l'Eglise d'Orient, Paris, Aubier, 1944, p. 141). En Christ, Dieu parfait et homme parfait, la personnéité passe de Dieu à l'homme. "Jésus-Christ, note Jean Zizioulas, apporte à l'histoire la réalité même de la personne et en fait le fondement de la personne pour tout l'homme".
C'est dans le prolongement de son Corps, c'est-à-dire l'Eglise, que le Christ nous donne de pouvoir devenir des personnes véritables. [...). Au sein de l'espace ecclésial multipersonnel, une des questions théologiques d'importance est la compréhension du rapport, de la conjugaison, entre unité et multiplicité.
Chez Vladimir Lossky le rapport un - multiple est envisagé comme rapport antinomique, une identité-distinction, entre la nature humaine une déifiée en Christ et la multiplicité des personnes. Dans ce schéma, une répartition des rôles est assignée par le Père entre le Fils et l'Esprit. Le Fils restaure la nature humaine, tandis que l'Espnt Saint restaure les personnes humaines en les configurant au Christ. L'Eglise est une par le Christ et multiple par l'Esprit. [...]
Le mystère du Christ total
Dans la vision complémentaire de Jean Zizioulas, le rapport un - multiple est traité à travers la notion biblique et patristique de personnalité corporative. Là, l'un ne désigne plus la nature mais une personne particulière, le Christ, qui donne la vie et l'être aux autres personnes, par la grâce de l'Esprit. De même que dans la Sainte Trinité l'un est le Père et non la nature divine, de même la personne du Christ est l'un de l'Eglise. Cependant le Christ n'est pas dissociable de son corps. Le Christ total, "totus Christus, caput et corpus" (saint Augustin), c'est la personne du Christ, automatiquement liée à une communauté. Cette communauté est l'assemblée eschatologique des saints qui entourent le Christ dans le Royaume. En d'autres termes, l'Eglise fait partie de la définition du Christ. Tirant son identité du Christ et du Royaume à venir, l'Eglise est "une icône du Royaume à venir" (cf. J. Zizioulas, "Le mystère de l'Eglise dans la Tradition orthodoxe", Irénikon, tome 60 [1987], p. 332) et son identité véritable est eschatologique, même Si sur la terre elle poursuit son pèlerinage historique.
C'est dans l'événement de la synaxe eucharistique que se révèle pleinement le mystère du Christ total. La prière du Seigneur pour que tous soient un s'accomplit alors et l'eschaton s'inscrit dans l'Histoire de façon passagère. Le monde à cet instant est transfiguré et le temps s'ouvre sur l'éternité. Dépassant ses limites naturelles sous l'action de l'Esprit Saint, la personne humaine s'accomplit en s'ouvrant librement à la grâce: elle se trouve en-hypostasiée dans la personne du Christ. C'est l'adoption filiale, ce qui signifie que la personne reçoit de l'Esprit la grâce de partager la relation éternelle d'amour qui unit le Fils au Père [...]. La personne humaine est ainsi directement édifiée, accomplie en elle-même par cette relation de connaissance - amour partagé avec le Père, par le Fils, dans l'Esprit.
Il faut cependant insister sur le fait que dans cette approche ecclésiologique, la personne humaine n'est pas indépendante des autres personnes qui l'entourent. La structure de la communauté eucharistique ressemble, pour reprendre une image intéressante du P. McPartlan, à une toile d'araignée, dont le centre figurerait la personne du Christ, et dont tous les points d'intersection des fils qui s'entrecroisent représenteraient les personnes humaines. Cela signifie que chaque personne est constituée de façon dynamique par ses relations avec les autres personnes du réseau ecclésial, tout en demeurant néanmoins absolument unique et transcendante par rapport à une structure organique de communion (ici Jean Zizioulas, comme le père Georges Florovsky et Vladimir Lossky, considère le modèle de la sobornost des slavophiles comme insuffisant et problématique). Une personne - comme l'a bien montré le personnalisme philosophique - ne se réduit pas à un individu, c'est-à-dire à une monade répétitive et autosuffisante. D'autre part, comme le souligne Jean Zizioulas, une personne n'est pas tout d'abord, avant d'être ensuite en relation.
Etre et être en relation, c'est tout un, pour une personne authentique: un seul et même événement de vie et de partage dans l'amour, à l'image du Modèle trinitaire.
De façon plus générale, tandis que chez Vladimir Lossky l'horizon théologique est plutôt ascético-mystique, celui de Zizioulas est liturgico-eucharistique. Chez le premier, l'accent est mis, en effet, sur une piété individuelle, l'Eglise étant vue d'abord comme le milieu où se prépare et s'effectue l'union personnelle avec Dieu. Sans être dévaluée, l'Eucharistie lui apparaît alors surtout comme un instrument de la piété, en vue de l'édification individuelle, par l'ascèse (le podvig), de l'homme renouvelé en Christ. Chez le second, l'accent est porté sur la vie eucharistique qui révèle, comme nous l'avons vu, l'être véritable, eschatologique, de l'Eglise. L'Eucharistie est vécue comme la source même de la piété. Jean Zizioulas apporte indéniablement une contribution théologique majeure en ce que, à travers la notion biblique de la personnalité corporative, utilisée dans une christologie extensive, il esquisse cette fameuse synthèse entre christologie et pneumatologie, à laquelle travaillent les théologiens orthodoxes contemporains depuis presque un siècle. [...]
La réponse définitive est dans l'espace du Royaume à venir
L'approche de la personne chez les Pères grecs a bien peu à voir avec l'existentialisme et le personnalisme philosophiques modernes. On prône souvent la modernité des Pères en mettant en évidence leur "personnalisme". Une telle confusion ne sert pas la théologie, car de quel personnalisme parle-t-on ? Jean Zizioulas met bien en évidence que la Tradition des Pères grecs n'envisage pas la personne (aussi bien divine qu'humaine) comme un sujet conscient, conception héritée de la tradition augustinienne et boétienne. Une christologie saine montre (comme l'a fait Vladimir Lossky) que la conscience subjective est avant tout d'ordre naturel, et non pas personnel. Reconnaître à l'instar des Pères que la conscience est un phénomène secondaire dans le mystère que constitue la personne humaine, qu'elle n'est pas en tout cas le coeur de la personnéité, devrait sans doute être pris davantage au sérieux par les chrétiens qui réfléchissent aux problèmes éthiques qui se posent à l'humanité d'aujourd'hui en se cantonnant souvent dans une anthropologie un peu scolastique.
Cette distinction irréductible que l'on observe entre les sensibilités théologiques de Vladimir Lossky et de Jean Zizioulas explique grandement la différence d'approche de la question du rapport un - multiple évoquée plus haut. Mais il ne faudrait pas, me semble-t-il, en faire une opposition. Le pôle ascétique jouant en effet à juste titre, sous l'influence du courant monastique, d'un crédit immense dans la Tradition orthodoxe, tandis que le pôle eucharistique était déjà perçu par l'Eglise primitive comme le moment capital de la vie de la communauté ecclésiale. En fait, ces deux orientations mettent en relief deux facettes indissociables de l'existence chrétienne, et cela montre en quoi Vladimir Lossky et Jean Zizioulas ont des approches tout à fait complémentaires, s'inscrivant dans le sillon commun d'une théologie néopatristique.
Au travers de la réflexion nourrissante de ces deux théologiens, on discerne finalement que la question de l'accomplissement de la personne s'identifie à la question même du salut, qu'elle trouve sa réponse provisoire dans l'espace ecclésial et sa réponse définitive dans l'espace du Royaume à venir. En Christ il y a identification entre la vie de communion des personnes humaines déifiées et la vie de communion des personnes trinitaires. La condition de personne est donc non seulement une vérité anthropologique, mais la vérité ultime de l'homme, révélée et accomplie dans le Mystère du Christ. Certes, il ne suffit pas d'en prendre conscience, il faut aussi le vivre pleinement.
(Le titre et les intertitres sont de la rédaction du S.O.P.)