L'AVIS FAVORABLE ÉMIS PAR LE COMITE D'ÉTHIQUE s'inscrit dans la logique des lois bioéthiques. Une logique perverse, sous des apparences de générosité.
APRÈS L'EXTENSION DU DÉPISTAGE DE LA TRISOMIE 21 en décembre (FC n° 902 du 16janvier), la demande de mise en oeuvre du diagnostic préimplantatoire en février (FC n° 1005 du 17 avril), voilà maintenant que le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) se prononce (1), début mai, en faveur de l'utilisation à des fins de recherche des embryons abandonnés.
Le décor est toujours le même. Surréaliste. Les responsables politiques sont sur une autre planète. Le citoyen de base a définitivement renoncé à s'émouvoir parce qu'on lui dit que c'était le progrès. A la télévision, des experts autorisés, la main sur le cœur, nous bercent avec des propos visionnaires sur les dangers que certains usages de la science pourraient faire courir à la dignité des hommes de demain. Et pendant ce temps-là, les " Sages " du CCNE admettent l'utilisation de l'embryon comme un matériau... ce qui est tout de même une atteinte à la dignité des hommes d'aujourd'hui.
Si cette décision soulève notre indignation, elle n'a rien d'étonnant.
En principe, la recherche sur l'embryon est interdite. Mais tout ce qui conduit à l'autoriser est en germe dans les lois bioéthiques de juillet 1994. En normalisant les fécondations in vitro, ces lois augmentent le stock des embryons congelés. En permettant leur destruction, elles refusent délibérément à ces embryons le bénéfice du respect de tout être humain dès le commencement de sa vie.
Il ne restait plus qu'à justifier l'utilisation scientifique des embryons "dépourvus de projet parental" puisqu'ils sont, de toute façon, voués à la destruction.
Cette apparente logique de la générosité porte en elle la décadence de 1'Etat de droit, une imposture scientifique, et une tragédie morale.
La décadence de l'état de droit est incontestable.
![]() | D'abord, on a laissé croire que les embryons étaient protégés par les lois bioéthiques. Or, depuis 1994, les lois habituelles qui protègent l'être humain dès sa conception ne s'appliquent plus à l'embryon. Exclu de tout Statut juridique, celui-ci n'est ni un être humain, ni une chose ; il est hors la loi. |
L'embryon est aujourd'hui traité exactement comme l'esclave dans l'Antiquité. Et sa survie ne dépend que du bon vouloir du plus fort. C'est le contraire du droit.
Ensuite, le jeu du CCNE témoigne d'un inquiétant mépris des institutions. Cette instance étatique, entièrement nommée par le pouvoir et théoriquement consultative, dépossède en réalité les parlementaires (2) de leurs responsabilités en matière bioéthique. "C'est la première fois que les membres du CCNE expriment aussi clairement leur point de vue et guident sans ambiguïté le geste à venir du législateur", souligne Le Monde.
Terrorisé par son incompétence dans les sciences de la vie, et sans repère moral, le personnel politique abdique en faveur d'un comité d'experts privé de la moindre légitimité démocratique. C'est encore le contraire du droit.
Le principal argument du CCNE est de vouloir créer des lignées de certaines cellules embryonnaires, en principe totipotentes, c'est-à-dire dotées de toutes les potentialités de l'être humain, et qui pourraient être greffées à des malades. Les cellules-souches seraient obtenues à partir d'embryons conçus par fécondation in vitro puis cultivées en laboratoire.
Au-delà des titres prometteurs - "Importantes perspectives dans les recherches thérapeutiques" (Le Monde), "Vers la culture de cellules soigneuses" (Libération) - , il y a une imposture scientifique quant à la finalité et à la méthode proposées.
"De telles lignées cellulaires sont d'un très grand intérêt pour la recherche scientifique, en particulier dans l'industrie pharmaceutique, où elles peuvent, parfois, remplacer les modèles animaux", précise Le Monde.
La précision n'est pas anodine ! "Je ne connais quant à moi aucun protocole expérimental qui ne puisse être poursuivi aussi bien sur des chimpanzés", répétait le Pr. Jérôme Lejeune.
Et il ajoutait: "Les propositions de loi s'accumulent pour réclamer de très jeunes humains. Pourquoi cet appétit de chair fraîche? Pour une raison majeure qu'on n'ose guère formuler tant son réalisme est sordide: un embryon de chimpanzé coûte fort cher (il faut entretenir l'élevage). La vie humaine n'a pas de prix. Elle a même perdu toute valeur".
Il importe de rappeler que les découvertes majeures en génétique moléculaire comme les applications thérapeutiques récentes ont été possibles sans recourir à la recherche sur les embryons. Le cannibalisme embryonnaire est
une erreur de méthode. Changer la morale et l'asservir à la technique donne l'illusion d'avancer plus vite. Mais cette technique, au nom de laquelle on s'apprête à abandonner le bon sens, sera vite dépassée.
Le respect de l'être humain, lui, est indémodable.
La tragédie morale consiste à travestir le mal en bien, par le biais d'une dialectique en trois temps
![]() | diversion ("Ne regardez pas l'être humain qui va disparaître, c'est un embryon surnuméraire, dépourvu de projet parental"); |
![]() | inversion ("Regardez, au contraire, tous ceux que l'on pourra soigner avec les cellules d'embryons abandonnés"); |
![]() | perversion ("Il est donc éthiquement correct d'exploiter à des fins présumées scientifiques des êtres qui n'ont pas encore la force de se manifester"). |
"Nous faisons en quelque sorte de l'éthique préventive. Et dans ce contexte, on rend licites, c'est vrai, certaines recherches sur l'embryon, mais en les encadrant très fermement", se félicite le président du CCNE, le Pr. Jean-Pierre Changeux.
Encadrer les dérives les rend licites. l'éthique est devenue le pavillon de complaisance de la morale!
En cette période où l'on sollicite nos suffrages, une des réponses opposables à cette situation terrifiante, c'est de faire pression sur les hommes politiques.
Et de leur faire comprendre aujourd'hui que s'ils ne s'engagent pas, lors de la révision des lois bioéthiques en 1999, à protéger les plus jeunes des citoyens, ils ne méritent définitivement plus notre confiance.
Jean-Marie Le Méné
![]() | [source Famille Chrétienne n° 1010 du 22 mai 1997] |