écologie et christianisme

LA RECONCILIATION AVEC LA CREATION

 

 

Père Basile IORGULESCU

"Le grand Architecte de l'Univers conçut et réalisa un être doué de deux natures : la visible et l'invisible : Dieu créa l'homme, tirant son corps de la matière préexistante qu'il anime de son propre Esprit [...]. Ainsi naquit en quelque sorte un univers nouveau, petit et grand à la fois. Dieu plaça sur la terre cet adorateur mêlé, (...) réalité à la fois terrestre et céleste, instable et immortelle, visible et invisible, tenant le milieu entre la grandeur et le néant, à la fois chair et esprit, (...] animal en route vers une autre patrie et, comblé du mystère, rendu semblable à Dieu par un simple acquiescement à la volonté divine" (Grégoire de Nazianze, Discours 45, pour la Pâque).

La théologie de la création se développe depuis quelques années au sein de la communauté oecuménique. Après la grande célébration de Séoul (Conférence sur la justice, la paix et la sauvegarde de la Création, mars 1990), la septième assemblée choisit en toile de fond, une fois encore, l'épître aux Ephésiens, et donc l'idée de la réconciliation de toutes choses en Jésus Christ.

 

"L'avènement d'une création réconciliée et renouvelée est le but de la mission de l'Eglise ; la vision de Dieu réunissant toutes choses en Christ (Eph. 1,10) est la force qui fait vivre l'Eglise. La mission de l'Eglise consiste à réconcilier toute l'humanité avec Dieu et à nous réconcilier les uns avec les autres" (Rapport de Canberra sur la Mission de l'Eglise).

 

On peut discerner une fidélité au concept biblique du salut parce qu'il est mis en relation avec tous les aspects de la vie. La réconciliation avec Dieu et avec le prochain, ainsi que la recherche de la justice et de la paix (thème du rassemblement de Bâle) appartiennent au coeur même de la volonté salvatrice de Dieu pour l'humanité.

 

Une des tâches principales de la communauté oecuménique consiste aujourd'hui à lire et à interpréter ensemble les situations dans lesquelles doit avoir lieu le témoignage et l'engagement missionnaire des chrétiens.

 

Or un premier bilan identifie d'ores et déjà la quasi destruction de toute forme de communauté ou de communion. Partout dans le monde l'humanité est menacée de division. On assiste à un effritement du sens de la communauté, qui se manifeste dans l'anonymat et l'aliénation, conséquence des progrès de la technique et de la communication. Le besoin de communauté est profondément humain et profondément chrétien, et dans ce contexte, nous réaffirmons que le ferme dessein de Dieu est de réunir tous les êtres humains en une seule communauté.

 

Le témoignage commun apparaît à l'heure actuelle comme une priorité par excellence. Il se met au service à la fois de la réconciliation des Eglises entre elles et de la proclamation de la réconciliation de toutes choses en Jésus Christ.

 

Réconciliation avec Dieu dans le mystère de la mort et de la résurrection du Christ

 

La réconciliation avec Dieu est le fondement de notre salut. Elle a été accomplie par le Christ : "Si quelqu'un est né dans le Christ, c'est dans une création nouvelle, l'être ancien a disparu, un être nouveau est là ! Tout ceci vient de Dieu qui nous a réconciliés avec lui par le Christ et nous a confié le ministère de la réconciliation : c'était Dieu qui dans le Christ réconciliait le monde..." (2 Cor. 5,17-18).

 

En tant que vrai Dieu et vrai Homme, le Christ s'est approché intimement de nous, en nous élevant à la dignité d'une relation directe avec Dieu. Il nous a offert l'expérience de Dieu dans une communion plénière, comme une personne en communion directe avec une autre Personne" (D. Staniloaë). C'est lui, le Christ, le vrai pontifex (archiereus) qui a accompli "la nouvelle relation" entre l'homme et son Créateur (G. Siegwalt) dont la promesse et l'archétype avaient été exprimés par le sacerdoce de l'Ancien Testament.

 

Non seulement Jésus souffre à cause des péchés du monde, insurgé contre lui, mais il les assume de l'intérieur "par l'amour compatissant" (S. Boulgakov), en les faisant siens. Lui, la lumière du monde, plonge dans l'obscurité du péché, dans la nuit de Gethsémani. Ceci représente un mystère insondable pour nous. "L'Eternel l'a frappé pour l'iniquité de nous tous" (Is. 53,6) "...quoiqu'il n'eût point commis de violence et qu'il n'y eût point eu de fraude dans sa bouche" (v. 9); "il se chargera de leurs iniquités" (v. 11); "il a porté les péchés des hommes" (v. 12). "L'agneau de Dieu a enlevé les péchés du monde" et l'homme a été réconcilié avec Dieu.

 

On peut ainsi affirmer que la relation dans laquelle s'est placé Jésus par rapport à l'homme a été justement la proximité de son intimité, où il n'y a plus d'impulsion vers le péché, mais uniquement la souffrance du péché. Ce qu'il a par son amour compatissant absorbé de l'homme a été, par conséquent, cette responsabilité souffrante. Jésus s'est approprié au nom de toute l'humanité le rôle d'être intime en chaque être humain, le rôle de centre intérieur, de sensibilité morale sans tâche, vibrant de responsabilité pour le péché de tous.

 

On peut affirmer dans ce sens que Jésus nous a aussi réconciliés les uns avec les autres. L'humanité du Christ n'a pas ontologiquement été différente de la nôtre. Mais elle a été placée sur la plus haute marche de sensibilité morale, responsable et compatissante. Si celui qui possède ces traits ou les libère en lui-même dans une certaine mesure, descend dans l'intimité de ses semblables, il rend possible la communication de "moi a toi", en prenant, d'une part, le fardeau de son semblable, par là le libérant, et d'autre part, en lui transmettant tout ce qu'il a de noble et de supérieur.

 

On considère en général le salut de l'homme dans sa valeur spirituelle, dans son aspect moral, alors que le Christ a rétabli l'homme tout entier. Il n'a pas réalisé uniquement la communion entre l'humanité et Dieu, mais également entre la création - qu'il avait offerte en don à l'homme - et le Créateur.

 

N'oublions pas que l'homme représente le couronnement de la création, car Dieu ne reprend pas ce qu'il lui avait donné au moment de la genèse: "Faisons l'homme à notre image, selon notre ressemblance, et qu'il domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail, sur toute la terre... Dieu créa l'homme à son image... Il créa l'homme et la femme, les bénit et leur dit : Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre et l'assujettissez, et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel et sur tout animal qui se meut sur la terre" (Genèse 1,27-28). N'oublions pas non plus la promesse faite à Noé: "Je ne maudirai plus la terre, à cause de l'homme... (Genèse 8,21).

 

Le Fils de Dieu est descendu dans la création et l'a transfigurée. C'est en ce sens qu'un cantique tiré de l'office de l'Epiphanie proclame : "La nature de l'eau é été sanctifiée par ton baptême, ô Christ, notre Dieu". Ensuite, depuis Pâques, la terre est devenue le tombeau-matrice où le Christ fut enseveli et qu'il ressuscita en ressuscitant. L'arbre de la croix, devenu le véritable arbre de vie, remet en évidence la sacramentalité des choses. "Toute la terre est comme une relique de toi" dit un très ancien poème chrétien intitulé Odes de Salomon. Et n'est-ce pas deux éléments naturels - le pain et le vin - qu'il a choisis pour nourriture eucharistique de l'Eglise, en disant : "prenez, mangez, ceci est mon Corps ; buvez-en tous, ceci est mon sang" (Mt 26,26-28). Le pain et le vin requièrent ainsi des qualités personnelles dans l'événement de la communion de l'Esprit. Le Logos incarné rejoint et libère, et nous appelle à rejoindre et à libérer la parole muette des choses, cet univers qu'Origène appelait un logos alogos.

 

Communion et altérité

 

Ceci nous amène au coeur même du thème de la présente réflexion réconciliation avec la nature. Si le problème écologique est devenu Si actuel, c'est que la création de Dieu est menacée par l'action égoïste de l'homme. On peut en effet parler d'une crise dans les rapports entre l'être humain et l'altérité du reste de la création. L'homme ne respecte pas l'altérité de ce qui n'est pas humain : il tend à l'absorber en lui-même. Et inversement, dans sa tentative désespérée de corriger ce processus, il peut aisément tomber dans le terme païen de l'alternative : absorber l'homme dans la nature. Nous devons être extrêmement vigilants. Si le problème est devenu actuel, c'est que la création de Dieu est menacée par l'action.

 

Pour la tradition orthodoxe, la nature est cet '"autre" que l'homme est appelé par sa créativité personnelle à mettre en communion avec lui-même, en déclarant qu'il s'agit de quelque chose de "très bon". Si dans l'eucharistie les éléments naturels du pain et du vin deviennent le Corps et le Sang du Christ, d'une manière para-eucharistique "toutes les formes authentiques de culture et d'art sont des manières différentes d'approcher la nature comme une altérité en communion, et ce sont les seuls antidotes sains contre la maladie écologique" (Mgr Jean Zizioulas).

 

La dimension missionnaire de la réconciliation

 

L'appel à un engagement pour la sauvegarde de la création n'est rien d'autre qu'un appel à un renouvellement des relations d'alliance entre Dieu, l'être humain et la nature. Il revêt d'ailleurs un caractère profondément missionnaire, comme nous le disions plus haut, parce qu'il ouvre de nouveaux horizons pour un dialogue constructif avec la science et la technologie modernes, avec les valeurs éthiques de nos sociétés respectives.

 

C'est le sens même des conclusions du rapport final de la Septième assemblée: "L'univers dans toute sa beauté et sa grandeur manifeste la gloire du Dieu trinitaire qui est la source de toute vie. Toutes choses ont été faites en Christ en qui la création de Dieu parvient à son accomplissement. Nous sommes appelés à approcher la création dans l'humilité, avec vénération, respect et compassion, et à oeuvrer pour son rétablissement et sa guérison, préfigurant et annonçant ainsi le rassemblement final de toutes choses en Jésus-Christ".

 

On remarque aisément que la manière de poser le problème dépasse les limites de préoccupations écologiques contemporaines. Il s'agît d'une volonté de donner à la mission de l'Eglise sa place dans la totalité du dessein de Dieu, en la reliant à tout ce que l'humanité vit et souffre, possède et espère, et même aux gémissements de la création tout entière, pour reprendre la terminologie paulinienne.

 

Il s'agit également de souligner la dimension spirituelle de la quête de l'équilibre entre l'être humain et la nature. L'accent est alors mis sur l'immanence de Dieu dans le monde, sa présence sacramentelle au milieu de la création plutôt que sur sa transcendance. Ainsi, le Dieu d'amour et de sacrifice ne peut que souffrir dans la souffrance de toutes ses créatures, et se réjouir dans la joie de toute la création. L'expérience sacramentelle, surtout la conception eucharistique du monde, libère l'être humain de son avidité à dominer la création, et lui fait prendre conscience que le Christ est pour la vie du cosmos entier, que la communion à la vie divine offerte par le Christ se rapporte à toute la création, et non seulement à l'être humain.

 

Comme Dieu dont les "énergies", les paroles créatrices, portent le monde et qui, s'incarnant, fait de la terre une chair eucharistique, nous révélant et nous ouvrant les potentialités sacramentelles de la matière, l'homme, image de Dieu, est appelé à transfigurer la terre. L'Orient chrétien connaît une forme de contemplation qu'il nomme la "connaissance des êtres", "la contemplation de la nature", c'est-à-dire "des secrets de la gloire de Dieu cachée dans les êtres", la terre une chair eucharistique, nous révélant et nous ouvrant les potentialités.

 

Le monde est le don de Dieu : apprenons à pressentir le donateur à travers le don.

 

[Extrait d'une plaquette publiée par le Groupe oecuménique transfrontalier Kehl-Strasbourg, c/o Jean-Pierre RIBAUT, 83, rue du Général Conrad, 67000 Strasbourg.]

 

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