Avez-vous le goût du dépaysement ?

 

Lisez le récent ouvrage de Michel Crépu, le " Tombeau de Bossuet ", publié chez Grasset. Le dépaysement est assuré, car tout semble nous éloigner de ce prélat louis-quatorzien dont la mémoire collective ne retient, au mieux, que l’oraison funèbre d’Henriette d’Angleterre ( " Madame se meurt, Madame est morte... " ) et la querelle avec Fénelon à propos du quiétisme. Qui songerait en notre fin de siècle à revenir sur un orateur sacré zélateur du droit divin, de l’absolutisme, de la société d’ordres et de l’extirpation de l’hérésie ?
Le mérite de Michel Crépu, essayiste, responsable des pages littéraires du journal La Crois, est de négliger cette approche anachronique et de chercher, derrière un discours classique qui ne nous parle plus, ce qui échappe aux modes et peut être utile à nos contemporains.. " Sous les décombres d’une époque révolue, écrit-il, il y a chez Bossuet un feu qui continue de brûler, une écriture vive et immédiate, une puissance éternelle. " Et il est vrai que, sur certains points, L’aigle de Meaux " est d’une modernité étonnante.
Ces phrases du " Sermon sur la Mort " ne pourraient-elles s’adresser à nous : " C’est une étrange faiblesse de l’esprit humain que jamais la mort ne lui soit présente, quoiqu’elle se mette en vue de tous côtés, et en mille formes diverses. On n’entend dans les funérailles que des paroles d’étonnement de ce que ce mortel est mort. "
Dans un texte rédigé lorsqu’il a 21 ans ( " Fragment sur la brièveté de la vie " ), Bossuet se fait plus personnel : " J’entre dans la vie avec la loi d’en sortir, je viens faire mon personnage, je viens me montrer comme les autres ; après il faudra disparaître. J’en vois passer devant moi, d’autres me verront passer ; ceux-là même donneront à leurs successeurs le même spectacle ; tous enfin viendront se confondre dans le même néant. "
Notre discours sur l’exclusion pourrait se nourrir des belles périodes du sermon " bossuetien " : " Quelle injustice, mes frères, que les pauvres portent tout le fardeau et que tout le poids des misères aille fondre sur leurs épaules ! S’ils s’en plaignent, et s’ils murmurent contre la Providence divine, Seigneur, permettez-moi de le dire, c’est avec quelque couleur de justice : car, étant tous pétris d’une même masse, et ne pouvant pas y avoir de grande différence entre de la boue et de la boue, pourquoi verrions-nous d’un côté la joie, la faveur, l’espérance ; et de l’autre la tristesse, et le désespoir, et l’extrême nécessité ; et encore le mépris et la servitude ? " 
Quant à la subjectivité, maladie de notre époque, Bossuet nous donne, tout au long de son œuvre, des leçons que nous devrions bien méditer. L’intelligence plutôt que la sensation, le raisonnement plutôt que l’image. " Priorité absolue chez Bossuet, nous dit Michel Crépu, à la raison objective, ne laissant pas un millimètre de prise à la subjectivité. Il verrouille pour mieux se déplacer dans un espace pur ". Toute la querelle du quiétisme est là. La relation à Dieu peut-elle ne pas être structurée, s’abandonner entièrement à la rêverie ...ou - et cela est pour notre temps - à l’action ?
A lire Michel Crépu, on est bien forcé d’admettre que Bossuet peut offrir une salutaire piqûre de rappel contre le confusionnisme de notre époque.
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