LE SAINT SUAIRE SOUS L'INCENDIE
Le Saint Suaire vient d'échapper de justesse à l'incendie qui a ravagé la cathédrale
de Turin à un an des nouvelles expertises.
Comme dans un mauvais film de sorcellerie, au plus profond de la nuit, les flammes
embrasent la cathédrale Saint-Jean-Baptiste de Turin. Bien que l'incendie semble avoir
été déclenché par un court-circuit, les plus superstitieux des Piémontais se signent.
«Le diable, murmurent-ils, a ouvert la porte de l'enfer pour s'emparer de la plus
précieuse relique de notre Seigneur.» Mais ce 12 avril, les forces célestes ont trouvé
leur chevalier, un pompier nommé Mario Trematore. Pendant que ses collègues le
protègent des flammes, il s'élance avec courage, une masse à la main, et brise le long
sarcophage, véritable coffre-fort de verre. «Je sentais dans mon bras la puissance des
deux milliards de chrétiens qui vénèrent le linceul. J'ai frappé cent coups
peut-être, et Dieu m'a donné la force de rompre ces vitres à l'épreuve des balles.»
L'homme ne cache pas sa fierté.
À l'intérieur de la cathédrale, tout est désolation. De la chapelle Guarino Guarini,
seules les inquiétantes colonnes de marbre noir devenues rouges sous l'effet de la
chaleur surgissent, fantomatiques des amas de gravats. Le dôme baroque du XVIIe
siècle s'est effondré. Le feu a réduit en cendres la galerie de bois qui unissait la
cathédrale et le palais royal de la Maison de Savoie.
Pourtant, tous ici crient au miracle. Le précieux coffre d'argent renfermant le linceul
aurait dû se trouver au cur de l'incendie, dans la chapelle qui l'abrite depuis
plus de trois siècles. Mais de récents travaux de restauration avaient amené le
transfert du reliquaire jusqu'au maître-autel.
En outre, ce récent incendie en rappelle un autre. Celui dans lequel faillit disparaître
la relique, dans la collégiale de Chambéry, la nuit du 3 au 4 décembre 1532.
Ces dernières années, les doutes sur l'expertise sont tels qu'une nouvelle série
d'expériences est prévue en 1998.
Dans le récent ouvrage où ils exposent le résultat de leurs expériences, deux
chercheurs français, André Marion, docteur en physique nucléaire, et Anne-Laure
Courage, ingénieur optique, abondent également dans le sens de l'authenticité. Leurs
recherches, débutées en 1994, ont révélé sur le linceul la présence d'écritures
grecques et latines dont deux semblent être «Jésus» et «Nazaréen». D'autre part,
des traces de pièces de monnaie posées sur les yeux du supplicié une coutume à
l'époque du Christ laissent également deviner des fantômes d'écritures. La
taille et les inscriptions visibles correspondent aux «leptons» frappés sous Ponce
Pilate à Jérusalem, entre les années 30 et 32.
À cela vient s'ajouter le mystère de la formation de l'image sur le tissu. La science
est incapable de reproduire, ou même d'expliquer le processus, et son exemple est unique
au monde. Les multiples expériences tentées ont toutes échoué. Après avoir fermement
soutenu qu'il s'agissait d'une peinture, les détracteurs du suaire ont dû se rendre à
l'évidence : aucune trace de pigment sur le suaire. Et la silhouette n'a pu être
dessinée par la main de l'homme. D'ailleurs, les ombres pâles que l'on devine en
négatif sur le linceul n'ont été mises au jour que par le contraste de la première
photographie, réalisée en 1898 par Secondo Pia. Une image troublante montre clairement
le corps d'un homme barbu, aux cheveux longs et tressés, de type sémite. Il mesurait
environ 1,81 m, portait sur le dos des traces de flagelum le fouet romain
, des blessures au visage, aux pieds, aux poignets et au torse. L'emplacement des
clous est important car, au Moyen Age,les artistes figuraient le Christ crucifié par la
paume des mains. Une impossibilité anatomique, le poids du corps entraînant dans ce cas
une déchirure des tissus. En outre, comme le Christ, l'homme a été coiffé d'un casque
d'épines, et non d'une couronne comme on a coutume de le représenter. Autant de détail
qui correspondent parfaitement à la coutume romaine de la crucifixion et au récit de la
Passion rapporté par les saintes Écritures.
À défaut de peinture, le tissu est imprégné de sang, du groupe AB, et de sueur. Les
analyses ont révélé la présence excessive de bilirubine, une substance sécrétée par
les individus subissant des souffrances épuisantes. Au début de notre ère ou au Moyen
Age, l'homme du linceul a bien été cruellement supplicié. «Le faisceau de
coïncidences est tel, concluent Anne-Laure Courage et André Marion, que pour tout autre
personnage, le débat n'aurait plus lieu d'être.»
D'autant qu'une autre énigme intrigue les scientifiques : l'examen des taches de
sang. Coagulées, elles collent à la peau. Mais celles du linceul ne montrent, à leur
surface, aucune trace d'arrachement. Comment alors l'homme du suaire a-t-il quitté ou
a-t-il été extrait de son linceul ? Pour les croyants, l'explication s'impose : le
phénomène relève du divin.