VII. - Après avoir appris de quelle façon tu dois réveiller ta conscience par la recordation du péché, apprends maintenant comment tu peux l'aiguiser par la vigilance, la prudence, la circonspection envers toi-même. Car il suffirait point que ta conscience fût attentive, délicate, diligente; elle doit être exigeante, et c'est l'oeuvre de la circonspection. Elle le devient en évoquant : 1. le jour de la mort qui est imminent; 2. le regard du Juge fixé sur toi présentement; 3. le Sang de la Croix répandu comme récent. Reprenons : 1. le jour de ta mort est certain, incertain, irrévocable: certain quant au fait; incertain quant au jour, au lieu, au mode; irrévocablement fixé et irrémissible. Si tu y songes diligemment, plus diligemment encore tu travailleras, tandis que tu en as le temps, à te purifier de toute négligence, convoitise et malignité. Oserais-tu t'attarder dans le péché n'étant pas assuré du lendemain? 2. Le regard est fixé sur toi du Juge que tu ne, peux ni tromper, ni fléchir, ni fuir. Nul ne peut égarer sa sagesse infaillible, ni leurrer sa justice incorruptible, ni décliner sa vindicte inflexible, qui ne laisse aucun bien sans récompense, aucun mal sans châtiment. Ton oeil ne sera-t-il pas perspicace à reconnaître le péché, si tu sens peser sur toi ce regard aigu? 3. Le Sang de la Croix te parle un langage plus digne de toi : la mort imminente, le rigoureux jugement stimulent ton intérêt personnel. Jésus crucifié s'adresse à ton amour : Vois ce sang versé : pour réveiller ton coeur de sa torpeur, pour le nettoyer de ses souillures, pour amollir sa dureté. Vois-le répandu sur ton âme : pour la purifier de ses taches, pour la ressusciter de la mort, pour la féconder dans son aridité. Qui serait assez stupide, se sentant baigné d'un Sang si précieux, pour laisser en soi régner coupablement la négligence, la convoitise et la malignité?
VIII. - Ta conscience une fois réveillée par la recordation du péché, aiguisée par la circonspection, il te faut la rectifier par la considération de son bien. Or ce bien, dont l'acquisition redressera ta conscience faussée par le péché, consiste en trois vertus opposées aux trois vices reconnus par l'examen. A la négligence s'oppose la générosité, à la convoitise s'oppose l'austérité, à la malignité s'oppose la bénignité. Ces trois vertus acquises, ta conscience sera droite, forte et pure. A quoi nous pouvons appliquer la parole du Prophète Michée (6, 8) : " Je t'indiquerai, homme, quel est le bien et ce que de toi requiert le Seigneur : savoir :accomplir la justice, aimer la miséricorde et marcher soigneusement devant ton Dieu" . Et aussi le conseil du Seigneur en saint Luc,(12, 35) "Que vos reins soient ceints, vos lampes allumées, et vous-mêmes semblables à des serviteurs [vigilants]". IX. - Il faut commencer par la générosité qui fraie la voie aux deux autres. On peut la définir : une VIGUEUR de l'esprit qui secouant toute négligence se dispose à servir Dieu avec vigilance, confiance, aisance. - 2. L'austérité la suit qu'on peut définir : une RIGUEUR de l'âme; elle réprime toute convoitise et rend capable d'aimer ce qui est rude, pauvre, vil. - 3. La bénignité enfin est la troisième : elle est cette DOUCEUR de sentiment, cette suavité de coeur qui bannit toute méchanceté; elle incline à la bienveillance, à la tolérance, à l'allégresse intérieure.
Ici s'achève la purification de l'âme par le moyen de la méditation, car toute conscience pure est heureuse et joyeuse. Qui donc veut se purifier, qu'il exerce de la manière indiquée l'aiguillon de sa conscience. Note néanmoins que la méditation peut commencer par l'un ou l'autre des sujets proposés et passer de l'un à l'autre, ou demeurer fixée sur l'un ou sur l'autre, à son gré, jusqu'à ce qu'elle ait trouvé ce qu'elle cherche. Car le but de la méditation est d'atteindre et de goûter la PAIX, soit cette tranquillité, cette sérénité d'où sourd la JOIE spirituelle. Cette paix obtenue, l'esprit est prêt et prompt à tendre plus haut. Cette voie donc, où l'on entre poussé par le remords de la conscience, conduit au sentiment de spirituelle allégresse : on la parcourt dans la douleur, et dans l'amour on s'y consomme.
2. - DE LA VOIE ILLUMINATIVE ET DE SON TRIPLE EXERCICE
X. - Après avoir traité de la voie purgative, il vient à traiter en second lieu de la voie illuminative. L'homme y prend pour guide, non plus l'aiguillon de sa conscience, mais la lumière de sa raison. Le rayon de cette lumière doit être : d'abord projeté sur les dettes remises, ensuite étendu jusqu'aux faveurs commises, enfin tourné vers les récompenses promises.
XI. Nous projetons la lumière de notre intelligence sur les dettes qui nous ont été remises lorsque nous pesons soigneusement les péchés que Dieu nous a pardonné, si nombreux, si graves, pour lesquels nous méritions d'être soumis à tant de peine, et privés de tant et si grands biens.
1. Cet énoncé suffit à nourrir notre méditation; ajoutons-y pourtant la considération des maux où nous fussions tombés, si Dieu l'avait permis. Nos ténèbres seront illuminées par l'éclat de cette lumière, durant notre diligente méditation. Or cette lumière ne serait pas la lumière céleste dont la clarté s'accompagne toujours de chaleur, si à l'illumination ne correspondait point un élan de gratitude. Ici donc, rendons grâce pour le pardon qui nous a été accordé de nos péchés commis et pour la miséricorde qui nous a gardés de ceux où nous auraient entraînés l'indigence, la faiblesse et la malice de notre volonté.
2. Nous étendrons en second lieu ce rayon de lumière jusqu'aux faveurs qui nous ont été commises, savoir les dons que nous avons à mettre en oeuvre et dont nous aurons à rendre et le compte et les fruits. Ces bienfaits se groupent aussi sous trois chefs, appartenant : 1. les uns à l'intégrité de la nature, 2. les autres à l'assistance de la grâce, 3. d'autres enfin au don de la surabondance. 1. A l'intégrité de la nature revient que Dieu vous a dotés, selon le corps, de membres complets, d'un tempérament sain, d'une noble fécondité; selon les sens, d'yeux pour voir, d'oreilles pour entendre, et d'un langage articulé; selon l'âme, d'une raison ouverte, d'un jugement droit, d'un coeur bon. XII. - 2. A l'assistance de la grâce revient d'abord que Dieu vous a prévenus par la grâce du baptême, qui effaça le péché originel, restitua l'innocence, conféra la justice par laquelle vous fûtes rendus dignes de la vie éternelle; qu'ensuite il vous a relevés par la grâce de la pénitence, au temps opportun, selon le désir qu'il excita dans votre âme et la magnanimité de son institution; qu'enfin il vous a honorés de la grâce du sacerdoce qui vous a établis dispensateurs de la doctrine, et du pardon,. et de l'Eucharistie, c'est-à-dire de là parole de vie plus ou moins communiquée dans tout acte sacerdotal.
XIII. - 3. Au don de la surabondance ou de la plénitude revient que Dieu vous a comblés : d'abord par la jouissance de l'Univers, où les créatures inférieures vous servent, les égales vous aident, les supérieures vous protègent; ensuite par l'Envoi de son Fils qu'il vous livre : en frère et ami, en rançon, et chaque jour en nourriture : en frère par son Incarnation, en rançon par sa Passion, en aliment par la Consécration; enfin par la Mission de l'Esprit Saint : en signe de votre Acceptation, en arrhes de votre Adoption, en gage de vos Épousailles, car il a fait de l'âme chrétienne sa soeur, sa fille et son épouse. Dons merveilleux et inestimables, dont la méditation doit remplir votre âme de gratitude envers Dieu.
XIV. - 3. A l'égard de la voie illuminative, reste en dernier lieu à considérer comment dans sa méditation la lumière de la raison se retourne vers la Source de tout bien pour s'entretenir des récompenses promises. Car avec sollicitude et assiduité elle doit penser que Dieu qui ne ment point a promis, à ceux qui croient en Lui et qui l'aiment : 1. l'éloignement de tous leurs maux, 2. la société de tous les saints, 3. l'assouvissement de tous leurs désirs; - en Lui, qui est la source et la plénitude de tous les biens; - qui Lui-même est un tel Bien qu'Il excède toute prière, tout désir, toute estime; qui nous répute dignes de ce grand Bien, si nous l'aimons et tendons vers Lui par-dessus tout et pour Lui seul. Et c'est pourquoi de tout notre élan, de toute notre affection, de toute notre bonne volonté, nous devons ainsi tendre vers LUI.
§ 3 De LA VOIE PERFECTIVE ET DE SON TRIPLE EXERCICE
XV. - Vient en dernier lieu la manière de nous exercer à l'égard de l'étincelle de la Sagesse. Et voici l'ordre à suivre : D'abord cette étincelle doit être recueillie, puis embrasée, enfin emportée. Ce qui s'explique ainsi : 1. Vous la recueillerez en soustrayant votre affection à tout amour créé; car votre coeur doit se refuser à toute créature, dont l'amour ou ne profite pas, ou s'il profite ne refait pas, ou s'il refait ne satisfait pas ni ne suffit. Et c'est pourquoi tout amour de cet ordre doit être absolument banni de votre coeur. XVI. 2. Ensuite il faut embraser cette étincelle par la concentration de tout sentiment d'amour sur l'amour de l'époux. Ce qui s'opère en comparant ce même amour soit à lui-même, soit à la charité des bienheureux, soit à son propre Objet, l'Epoux divin. Or, tandis que l'on considère que par l'amour il peut être suppléé en nous à toute indigence; que par l'amour est accordé aux bienheureux de tout bien l'abondance; que par l'amour est possédée du souverainement désirable la Présence... alors s'embrase le coeur... XVII. - 3. A ce moment, il faut enfin s'évader et emporter cette étincelle au-dessus de toute réalité sensible, imaginable, intelligible, dans cet ordre : De Celui que vous souhaitez d'aimer parfaitement et sans intermédiaire, dites vous, dans votre méditation : d'abord qu'il ne tombe pas sous les sens, et qu'il ne peut être vu, ni ouï, ni odoré, ni goûté, ni touché, mais il est tout désirable... Ensuite qu'il n'est pas objet d'imagination; car on ne lui peut prêter ni terme, ni figure, ni ombre, ni mesure, ni limite; qu'il ne peut donc pas être représenté, mais il est tout désirable... Enfin qu'il n'entre pas dans l'ordre rationnel, et qu'on ne peut ni le définir, ni le démontrer, ni l'apprécier, ni le comprendre, ni le saisir, car son intelligibilité dépasse toute intelligence... mais il est tout désirable...
XVIII - De ce qui précède clairement découle, comment en s'y exerçant, selon la triple voie de la Purification, de l'illumination, et de la Perfection, on parvient par la méditation à la Sagesse de l'Ecriture Sainte. Or, non seulement les enseignements de l'Ecriture, mais toute notre culture spirituelle est tributaire de cette méthode. Car toute méditation sapientielle porte : 1. ou sur les oeuvres de l'homme, savoir : ce qu'il fait, ce qu'il doit faire, et pourquoi; 2. ou sur les oeuvres de Dieu, savoir : ce qu'à l'homme il commet, remet, et promet; en quoi s'incluent l'oeuvre de la Création, celle de la Réparation, celle de la Glorification; 3. ou sur les principes des unes et des autres, savoir : Dieu, et l'âme, et comment ils doivent s'unir. Ici doit s'arrêter la Méditation, parce que1a connaissance [discursive] et toute opération de l'esprit atteint ici sa fin, savoir la vraie sagesse, dans laquelle est une connaissance par expérience véridique.
XIX. - Or dans la MEDITATION ainsi entendue, l'âme tout entière doit s'engager, avec toutes ses puissances : la raison, la syndérèse, la conscience, la volonté. La raison, interroge, pose une question; la syndérèse, appréciant, propose la solution; la conscience, témoignant, infère la sentence; la volonté, décidant, profère la condamnation. Prenons un cas de la voie purgative. La raison demande: Que faire d'un homme qui a violé le temple de Dieu? La syndérèse répond : Qu'il meure, ou qu'il fasse pénitence. La conscience déduit : Tu es cet homme ! Il te faut donc encourir la damnation, ou accepter la pénitence. La volonté enfin choisit, et parce qu'elle se refuse à être à jamais damnée, elle accepte volontairement les rigueurs. de la pénitence. Interprétez de la même façon la pratique des autres voies.