La Triple Voie (4)

TROISIEME PARTIE

LA CONTEMPLATION

CHAPITRE III

DE LA CONTEMPLATION QUI CONDUIT AU VRAI SAVOIR § 1. - PREAMBULE

I. - APRES avoir expliqué de quelle manière nous devions nous exercer à la sagesse par la méditation et la prière, nous insinuerons maintenant avec brièveté comment nous parviendrons au vrai savoir par voie de contemplation. Par la contemplation en effet notre esprit passe jusqu'à la Jérusalem céleste, modèle sur qui est formée l'église, selon l'Exode (35, 40): " Contemple et reproduit le modèle qui t'a été montré sur la montagne ". Il est en effet nécessaire que l'Église militante se conforme à l'église triomphante, les mérites aux récompenses, les voyageurs aux Bienheureux, autant du moins qu'il est possible. Or, dans la gloire triple est la dot qui forme la perfection de la récompense, savoir : 1. l'obtention de la suprême paix éternelle; 2 .la vision manifeste de la suprême vérité; 3. la plénière fruition de la suprême bonté ou charité. C'est par là aussi que se distinguent les trois ordres de la suprême hiérarchie céleste, les Trônes, les Chérubins, les Séraphins. A celui donc qui veut mériter de parvenir à cette béatitude, il est nécessaire d'acquérir, autant qu'il se peut ici-bas, ces trois états de gloire : 1. le repos de la Paix; 2. la splendeur de la Vérité; 3. la douceur de la Charité. Efforçons-nous donc de parvenir à ces trois états, par trois degrés, selon la triple voie : purgative, où l'âme expulse le péché; illurninative, où l'âme imite le Christ; unitive, où l'âme accueille l'Époux. Or chacune à ses degrés : il faut accéder par le plus bas, si l'on veut s'y élever jusqu'au suprême.

I. - LE REPOS DE LA PAIX

§ 2. - DE VII DEGRES PAR LESQUELS ON S'ELEVE AU REPOS DE LA PAIX

Il. - Les degrés qui conduisent au Repos de la paix sont les sept ci-après énumérés : La PUDEUR se rencontre d'abord, dans la recordation du péché et selon les quatre aspects de celui-ci, savoir : sa magnitude, sa multitude, sa turpitude, son ingratitude. La FRAYEUR en deuxième lieu, dans l'attente anxieuse du jugement, et selon quatre aspects, savoir : le dérèglement de l'activité, l'aveuglement de la raison, l'endurcissement de la volonté, la condamnation finale, La DOULEUR en troisième lieu, dans l'appréciation du dommage, et selon quatre aspects, savoir : la perte de l'amitié divine, la privation de l'innocence, la lésion de la nature, la dissipation de la vie passée. La CLAMEUR en quatrième lieu, dans l'imploration d'une quadruple assistance : de Dieu-Père, du Christ-Sauveur, de la Vierge-Mère, de l'Église triomphante. La RIGUEUR en cinquième lieu, dans l'extinction du foyer de la concupiscence et sous ses quatre aspects, savoir : d'aridité, qui est indévotion; de perversité, qui est malice; de volupté, qui est convoitise; de vanité, qui est orgueil. L'ARDEUR en sixième lieu, dans le désir du martyre, et pour quatre motifs, savoir : la perfection de la rémission de l'offense, la perfection de la purification de la souillure, la perfection de la satisfaction à la peine, la perfection de la sanctific ion en grâce. Enfin, septième étape, l'ASSOUPISSEMENT à l'ombre du Christ. Là est l'arrêt et le repos. Là l'homme se sent couvert par l'ombre des ailes divines, en sorte qu'il ne brûle plus ni de l'ardeur du désir, ni de la crainte du châtiment. Or on ne peut accéder usque-là que par la soif du martyre, ni à cette soif que par l'extinction de la convoitise, ni à. celle-ci que par le suffrage imploré, ni à ce suffrage que par le dommage déploré, ni à ce regret que par la crainte du jugement, ni à cette crainte sans s tre souvenu et humilié de ses fautes. Que celui donc qui veut jouir du repos de la PAIX avance selon l'ordre qui lui est assigné.

II. - LA SPLENDEUR DE LA VÉRITÉ

§ 3. -- DE VII DEGRÉS PAR OU L'ON PARVIENT A LA SPLENDEUR DE LA VÉRITÉ

III. - SEPT sont aussi les degrés par lesquels, dans la voie de l'Imitation du Christ, on atteint la splendeur de la vérité, et ce sont : l'assentiment de la raison, le sentiment de la compassion, le regard de l'admiration, l'ardeur de la dévotion, le vêtissement de la ressemblance, l'embrassement de la Croix, l'éblouissement de la Vérité, dans lesquels tu avanceras selon cet ordre : IV. - CONSIDERE - QUI est celui qui souffre, et soumets-toi à Lui par l'assentiment de ta raison : Crois fermement que le Christ est vraiment : le Fils de Dieu, le Principe de toutes choses, le Sauveur des hommes, le Rétributeur des mérites de tous. - QUEL est celui qui souffre, et unis-toi à Lui par un sentiment de compassion : compatissant au très innocent, au très doux, au très noble, au très aimant. - Combien GRAND celui qui souffre; sors de toi vers Lui, par le regard de l'admiration : attentif à le voir immense : en puissance, en beauté, en félicité, en éternité. Admire donc : cette puissance annihilée, cette beauté décolorée, cette félicité tor rée, cette éternité expirée. - Pour quelle CAUSE souffre celui qui souffre; oublie-toi pour Lui par un excès de dévotion, car il souffre : pour ta rédemption, pour ton illumination, pour ta sanctification, pour ta glorification. - En quelle FORME il souffre, et revêts-toi du Christ par l'effort de l'imitation, Il a souffert très volontier par rapport au prochain, très sévèrement par rapport à toi, très obéissamment par rapport à Dieu, très prudemment par rapport à l'adversaire Efforce-toi donc de te revêtir de bénignité envers le prochain, de sévérité envers toi-même, d'humilité envers Dieu, de défiance envers le démon, selon l'image qu'en toi tu dois porter du Christ, - De quel POIDS sont les souffrances de celui qui souffre; et embrasse la Croix dans le désir de la Compassion, en sorte que, comme a souffert la toute-puissance, impuissante dans ses liens; la bonté, avilie dans les outrages; la sagesse, ridicule sous s moqueries; la justice, convaincue d'iniquité par le supplice, toi-même tu te voues à la passion de la Croix, passion pleine : d'injustice dans les choses, d'outrages dans les paroles, d'indignité dans les gestes, de supplices dans les tourments, - Les CONSÉQUENCES enfin de ce qu'il souffre; et capte la splendeur de la vérité par l'oeil de ta contemplation. Car parce que l'AGNEAU a souffert : voici que les VII Sceaux du Livre sont rompus (Apocalypse, 5, 5). Or ce Livre est la connaissance univer lle des choses, dans laquelle sept notions restaient voilées à l'homme, qui par l'efficacité de la Passion du Christ lui ont été révélées, savoir : Dieu admirable, l'Esprit intelligible, le Monde sensible, le Paradis désirable, l'Enfer horrible, la Vert louable, le Péché imputable. Par la Croix en effet est manifesté : - Dieu, digne d'admiration en sa suprême et inscrutable sagesse, en sa suprême et incorruptible justice, en sa suprême et inénarrable miséricorde. Car sa haute sagesse a déçu le démon, sa haute justice a requis le prix de la rançon, sa haute miséricor a livré pour nous son Fils. Ces attributs, dignement considérés, nous manifestent Dieu admirable. - L'ESPRIT capable d'intelligibilité, selon sa triple espèce, savoir : en grandeur de bénignité dans les Anges, en grandeur de dignité dans les Hommes, en grandeur de malignité dans les démons. Car les Anges ont permis que leur Seigneur fût crucifié, les hommes sont estimés à ce prix que pour eux le Fils de Dieu fût crucifié, mais à la suggestion des démons. - Le MONDE, esclave des sens parce qu'il est un LIEU où règnent la cécité, puisqu'il n'a pas connu la vraie et suprême lumière; la stérilité, puisqu'il a méprisé Jésus-Christ comme infécond; l'iniquité, puisqu'il a condamné et mis à mort son Dieu et Se neur amoureux et innocent. - Le PARADIS à jamais DESIRABLE puisqu'en lui se voit : le faite de toute gloire, le déploiement de toute allégresse, l'amas de toute opulence; car Dieu, pour nous restituer cette habitation, s'est fait homme vil, miséreux et pauvre; et là : la hauteur cepta l'abjection, la justice subit la condamnation, l'opulence assuma l'indigence : le très haut Empereur en effet accepta l'abjecte servitude, pour que nous fussions sublimés en gloire; le très juste Juge subit la condamnation la plus sévère, pour que ous fussions justifiés de toute coulpe; le très opulent Seigneur assuma l'extrême pauvreté, pour que nous fussions enrichis de son abondance. - L'ENFER toujours HORRIBLE étant un lieu rempli d'indigence, de bassesse, d'ignominie, de calamité et de toute misère. S'il fut nécessaire que le Christ souffrit pour relever l'homme du péché et y satisfaire, combien plus fortement sera-t-il nécessaire ue les damnés subissent tous ces maux pour la juste rétribution de leur dette et sa compensation! - La VERTU véritablement LOUABLE, savoir selon son prix, selon son éclat, selon son fruit : selon son prix, car le Christ donna sa vie plutôt que de contredire à la vertu; selon son éclat, car il resplendissait au milieu même des outrages; selon son fru , parce qu'un seul exercice parfait de la vertu spolia l'enfer, rouvrit le ciel, restaura la terre. - Le PECHE individuellement IMPUTABLE et combien détestable, puisque à sa rançon est exigé : un prix si lourd, une expiation si grande, un remède si amer; tant et tant qu'il a fallu qu'à y satisfaire se vouât Dieu uni en unité de personne à l'homme le p s noble, par le plus abject abaissement, à cause de l'arrogance, car nulle n'est plus superbe; par la plus dépouillée pauvreté, à cause de la cupidité, car nulle n'est plus avide; par la plus âpre acerbité, à cause de la lasciveté, car nulle n'est plus ssolue. V. - Voilà donc comment toutes choses en la Croix se manifestent; toutes choses en effet à ces SEPT se réduisent. D'où la Croix est la clé, la porte, la voie et la splendeur de la Vérité. "Celui qui la prend et la suit de la manière assignée ici ne marche pas dans les ténèbres, mais il aura la LUMIERE de vie " (Joan, 8, 12; Mat., 16, 24).

§ 4. - LA DOUCEUR DE LA CHARITÉ.

VI. - DE SEPT PAS OU DEGRES PAR LESQUELS ON PARVIENT A LA DOUCEUR DE CHARITE

Les DEGRES d'accès à la douceur de charité par la conception de l'Esprit Saint sont les suivants : la vigilance soucieuse, la confiance confortante, le désir enflammé, l'ardeur soulevante, la complaisance accoisante, la liesse délectable, l'adhésion unissante; et dans cet ordre tu dois les parcourir, toi qui veux atteindre par la charité à la perfection et à l'a ur de l'Esprit Saint. Il est nécessaire en effet : - Que la vigilance te soucie, à cause de la CELERITE de la venue de l'Époux, de sorte que tu puisses faire tiennes ces paroles du Psalmiste : " Dieu, mon Dieu, dès le matin je veille et t'attends...", et ces autres du Cantique : " Je dors et mon coeur ille...", et celles-ci du Prophète : " Mon âme t'a désiré dans la nuit, et mon esprit, dans mes entrailles, des le matin a veillé pour toi s (Ps., 62, 2; Cant., 5, 2; Isaïe, 26, 9). - Que la confiance te réconforte à cause de la CERTITUDE de la venue de l'Epoux; en sorte que tu puisses dire : "En toi, Seigneur, j'ai espéré, je ne serai jamais confondu", et avec Job : "Alors qu'il me tuerait, j'espererais encore en lui" (Ps 30, 2; ob. 13, 15). - Que le désir t'enflamme, à cause de la DOUCEUR de l'Époux, en sorte que tu répètes avec le Psaume : " Comme le cerf désire l'eau des fontaines, ainsi mon âme soupire vers toi, O Dieu", ou avec le Cantique : "Fort comme la mort est l'amour ", ou encor : "Je languis d'amour.., " (Ps., 41, 2; Cant., 8, 8; 2, 5). - Que l'ardeur te soulève à cause de la SUBLIMITE de l'Époux, et que tu dises : "Qu'ils sont aimés, tes tabernacles, Dieu puissant"; et avec l'Épouse : "Entraîne-moi, je courrai... ", ou avec Job : "La mort m'est à désir" (Ps. 83, 2; Cant. 1, 3; Job. 15). - Que la complaisance t'apaise, à cause de la BEAUTE de l'Époux, en sorte que ta puisses dire : "Mon Bien- Aimé est à moi et moi à lui, mon Bien-Aimé est blanc et vermeil ", ainsi que fait l'épouse (Cant. 2, 16; 5,10). - Que l'allégresse te délecte à cause de 1a PLENITUDE de l'Époux, en sorte que tu redises : "Selon la multitude de mes douleurs en mon coeur, mon âme s'est réjouie dans l'abondance des consolations", ou encore : "Combien grande est la multitude de tes ouceurs, ô Dieu"; et avec l'Apôtre : "Je surabonde de joie... " (Ps. 93, 19; Ps. 30, 20; 2 Cor. 7, 4). - Que l'adhésion te conglutine à Lui, à cause de la FORCE DE L'AMOUR de l'Époux; en sorte que tu puisses dire : "Le bien pour moi est d'adhérer à Dieu", ou encore : "Qui nous séparera de la charité de Dieu?" (Ps. 72, 28; Rom., 8, 35).

VII. - Entre ces degrés l'ordre est tel qu'on n'a pas d'arrêt avant le dernier et qu'on n'atteint celui-ci que par les degrés intermédiaires, ainsi mutuellement disposés : au premier degré s'exerce la réflexion, dans les suivants domine l'affection. La gilance en effet considère combien légitime, utile et délectable est d'aimer Dieu. Engendrée de là, la confiance engendre, à son tour, le désir; et celui-ci l'ardeur, jusqu'à ce que l'âme atteigne à l'union, au baiser et à l'étreinte; où daigne nous co uire Celui qui vit et règne au siècle des siècles. Amen.

§ 5. - RECAPITULATION

VIII. - BRIEVEMENT ces étapes peuvent ainsi se résumer : 1° D'abord, distingue sept pas pour la purification : à cause de tes déportements, rougis; à cause du jugement, frémis; à cause du châtiment, gémis; à cause de ta guérison, implore un subside; à cause de l'adversaire, étouffe tes passions; à cause de l couronne, aspire au martyre; et pour t'abriter, approche-toi du Christ. 2° Ensuite, distingue sept pas vers l'illumination : considère qui est celui qui souffre : que la foi te captive; quel est celui qui souffre : que la compassion te contriste; quelle grandeur en Celui qui souffre : que l'admiration te stupéfie; pour quel cause? et confiant rends grâce; en quelle forme? et suis-le pour lui ressembler; de quelles souffrances sans mesure? Embrase-toi pour l'embrasser; et ce que tu dois en conclure? Comprends et contemple. 3° Enfin, distingue sept pas vers la voie unitive : que la vigilance te rende attentif au rapide passage de l'Époux; que la confiance te rende fort à cause de la certitude de sa venue; que le désir t'embrase à cause de la douceur du Bien-Aimé; que la f veur te soulève jusqu'à sa sublimité; que la complaisance t'apaise dans sa beauté; que la liesse t'enivre sur la plénitude de son amour; que l'attachement te conglutine par la puissance de cet amour; afin que toujours l'âme dévote, en son coeur dise à s Seigneur : "Je te cherche, je t'attends, je te désire, je me tends vers toi, je te saisis, en toi j'exulte, à toi j'adhère enfin comme à mon BIEN ".

La Triple Voie : 5ème partie