CONSEILS POUR LA PRIERE (3) par Le Père Matta el-Maskîne, Père du Monastère de saint Macaire en Egypte (Copte)

 

Prétextes pour échapper à la prière

La chair de l'homme convoite contre son esprit. Elle ne peut trouver son repos dans la prière, surtout la prière sincère, pure, offerte en esprit d'adoration véritable, car celle-ci implique le reniement de soi et la mort des passions, des convoitises et des fausses espérances... Aussi le corps invente-t-il mille prétextes pour échapper à la prière: il prétend être malade, défaillant, avoir mal à la tête, aux articulations, au dos, voir grand besoin de dormir. Si pourtant l'homme s'oblige à prier, le corps essaie d'abréger la prière. Si l'homme persévère à vouloir accomplir la prière jusqu'au bout, le corps essaie alors d'échapper au sens des mots: la langue s'embrouille, l'attention se relâche et divague par-ci ou par-là, la pensée l'appesantit. Le " moi " prend prétexte du corps pour échapper aux paroles de la prière, car elles impliquent sa mort. Il ressemble au serpent qui échappe à la musique du charmeur et s'empresse de se boucher les oreilles pour ne pas entendre sa voix, sachant qu'elle implique sa mort.

Cela, le Seigneur le sait; aussi a-t-il recommandé de " prier toujours sans jamais se lasser " ( Luc 18, 1 Et il leur disait une parabole sur ce qu'il leur fallait prier sans cesse et ne pas se décourager )

Ces graves symptômes n'apparaissent pas dans les prières pharisaïques, froides, accomplies pour recevoir la récompense des hommes, c'est-à-dire pour attirer leurs louanges ou leur admiration. Au contraire, le corps s'accommode bien d'une telle prière; il se lève tôt pour l'accomplir publiquement et n'éprouve aucune fatigue à se tenir debout de longues heures devant les hommes. Il élève la voix bien haut; intelligence devient très attentive et lui fait prononcer les prières avec la contenance voulue, une netteté et une précision qui lui attirent l'admiration des assistants. Ce genre de prière est agréable au " moi " humain, car il comporte en lui-même une récompense charnelle: il mène à l'affirmation de soi au lieu du renoncement à soi, à la déification de soi au lieu de la mort à soi. Aussi le " moi " s'y complaît comme il aime amasser l'argent. Le corps ne s'en lasse jamais comme il ne se lasse point d'une bonne nourriture.

Sachant bien ce qu'il y a dans l'homme, le Seigneur a prévenu cela en disant: " (Matth 6,6) Pour toi, quand tu pries, retire-toi dans ta chambre, ferme sur toi la porte, et prie ton Père qui est là, dans le secret . " Ici, fermer la porte indique la nécessité de faire en sorte que la prière ne soit ni vue ni entendue des hommes, au moins dans l'intention et la conscience de celui qui prie.

L'ascèse du corps et l'ardeur de l'esprit

L'ascèse du corps avant et pendant la prière, est nécessaire pour que l'âme prenne son plein essor en une prière fervente. On parvient à cela par deux genres de démarches. Le premier est négatif: les prosternations nombreuses, le jeûne, le silence, le dépouillement et la simplicité du vêtement Le second est positif: il consiste à offrir au Christ, du fond du coeur, un amour sincère, exprimé par des paroles d'affection, de désir, par un dialogue du coeur qui n'a de cesse ni de jour ni de nuit, soutenu par une méditation attentive de ses paroles et des préceptes.

Cela veut dire que la ferveur de la prière est conditionnée à la fois par l'ascèse du corps et par l'ardeur de l'esprit. L'une des deux ne saurait suffire, car chacune active l'autre. L'ascèse du corps prépare l'ardeur de l 'esprit et l'ardeur de l'esprit facilite l'ascèse du corps. Par ces deux démarches, la prière est mise à l'abri de l'acédie, de la lassitude, de la tiédeur spirituelle et de la dispersion de l'attention.

La prière et le temps

Le Christ est entré dans le monde par l'incarnation. Notre foi orthodoxe confesse l'unité de nature du Verbe incarné ', c'est-à-dire l'union parfaite qui s'est opérée en lui entre le divin et l'humain. Par conséquent, le Christ a uni en lui-même les actions humaines temporelles, le temps, à sa divinité éternelle. Tout ce que le Christ a pratiqué en sa chair comme la prière, les oeuvres de miséricorde et de compassion, ou encore les souffrances rédemptrices assumées sur la croix, tout cela a reçu en lui une dimension divine éternelle. Autrement dit, le temps s'est uni à l'éternité en la personne de Jésus-Christ.

S'unir au Christ par la prière, c'est en vérité glorifier le temps et le sanctifier, ou encore glorifier l'action humaine en tant que telle et la sanctifier, car c'est lui conférer, dans le Christ, une dimension divine éternelle. La prière authentique est un véritable " rachat du temps ", car elle transforme le temps mort en oeuvre divine éternelle. Aussi l'accès à la prière véritable s'accompagne-t-il nécessairement d'un dégagement par rapport à la perception de la valeur humaine et matérielle du temps. Le mouvement de la montre doit faire place au mouvement de l'esprit. Dans la prière, l'esprit est appelé à enter en communion avec les esprits des saints dans l'éternité car en s'approchant du Christ, on s'approche nécessairement du Royaume des cieux.

La hâte dans la prière, comme aussi le sentiment de lassitude sont le signe qu'on se raccroche au temps matériel, vide des bénédictions de l'Esprit et des aspirations de l'éternité. Le sentiment du temps matériel, de l'importance des minutes, des heures et des actes humains temporels qui nous attendent après la prière, contribue à étouffer en nous l'Esprit et à nous empêcher de jouir du sentiment de l'éternité et d'y vivre pendant la prière.

De même, la hâte dans la prière et la lassitude suffisent pour ôter à la prière son véritable caractère spirituel. Elle est réduite alors à ne plus être qu'un des nombreux actes de la vie corporelle que l'homme pratique par sa pensée ou par son corps, comme rencontrer un supérieur, prononcer un discours ou prendre son repas. Aussi le Christ nous prévient-il : " il faut prier toujours sans jamais se lasser " Mieux vaut donc pour l'homme exprimer par l'esprit une prière calme, paisible, digne, qui dure cinq minutes, que prier une heure entière avec hâte, ou trois heures avec lassitude.

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